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Séminaire de la Sphère

 À ma Pléione
          À ma Pléione

1

Qu’il est la sphère merveillable
Qui ne peut être terminable
Qui par tous lieux son centre lance
Ne lieu n’a la circonférence

Jehan de Meung,   Roman de la Rose

Avant qu’Adam ne fût, sera Shéhérazade.

La nuit des temps m’envoie, messagère d’une île peuplée de légions d’anges venue vous raconter l’histoire contenue dans la nuit suivant celle où finit son récit voici quelque mille ans.

Lèverez-vous la tête pour l’écouter ? Sur mon tapis volant je flotte au milieu du ciel rose qui prépare ses lauriers pour la nuit, dans l’hallucination de musiques et parfums millénaires.

Elle vous propose un rêve inimaginable afin d’avoir idée de l’Œil imaginal. Pourquoi ne pas imaginer le globe terrestre – plutôt que pris dans le filet d’une Toile dont le réseau de mailles électroniques vous étrangle –, parcouru de pensées lumineuses qui s’enrouleraient autour de la Terre comme des guirlandes sonores filant à toute vitesse et lenteur infinies dans le cosmos, ainsi qu’un poème qui serait à la fois prière et théorème, afin d’explorer les magies d’une Sphère enchantée : l’univers ?

Depuis la place monte une bonne odeur de kebabs, dont la fumée se mêle aux sons des tambours, fifres et violons berbères. Quel cinéma ! Les touristes, cannibalisant l’image des diseuses de bonne aventure et charmeurs de serpents, pourraient-ils s’emparer d’une fée-sorcière en plein ciel ? Oseraient-ils filmer ce prodige inconcevable ? Tous les regards demeurent à l’horizontale, sans quoi s’entendraient mille cris non moins épouvantés qu’après l’explosion de la dernière bombe en cette place légendaire.

Shéhérazade se renverse en même temps sur un rocher, son dos épousant la rondeur de la pierre, comme s’il s’agissait du globe terrestre. N’a-t-elle pas eu le privilège de survoler Marrakech alors même qu’elle venait d’échouer sur le rivage atlantique – se trouvant à la fois de part et d’autre de l’Atlas ?

Il sera donc une fois la Mille et Deuxième Nuit de Shéhérazade.


 Institut français d'Agadir


Quel millénaire est-il ? C’est tout un calcul de mettre un siècle en date sous des images, les humains n’imaginent pas… Vivant ou mort, je fais partie du cœur qui bat dans la sphère cosmique, et peu m’importe en quelle période nous sommes de leur Histoire. Bref, je suis immortel, mais d’une façon qui n’est dérangeante ni pour moi ni pour Shahrazad. Une lampe, un globe, une sphère d’or que le soleil, leur ai-je hurlé non sans éprouver encore cette impression ressentie tant de fois. J’étais là mais je n’y étais pas. Mon corps physique pouvait bien leur obéir dans une cellule de l’Institut français, mais je continuais de répondre à leurs interrogatoires que mon existence réelle était en Atlantide. Je m’amusais alors à mimer Atlas jouant du sémaphore au milieu de l’Atlantique…

Voyez ce pont sonore, leur disais-je, fait de mes cordes vocales entre l’île et le parc où j’enseigne aux bougainvilliers l’arabe et le hébreu, le grec et le latin dans toutes les couleurs de l’alphabet. Je vous en supplie, ne me prenez pas pour un dingue, ajoutais-je en donnant pour preuve à mes dires que Shahrazad herself m’attendait dans ce jardin d’Agadir…

Ils ne m’ont pas cru. Même quand j’ai menacé de tout écrire. Ce lieu sur les hauteurs de la nouvelle ville – Institut français – n’était-il pas un sanctuaire de leur littérature ? N’y avais-je pas déposé maint exemplaire d’une revue belge qui me publiait autrefois ? Ne s’y trouvait-il pas noir sur blanc la prophétie d’un globe voué au cannibalisme et à la sodomie ? Quand j’évoquai Moïse et le prophète Josué, que j’appariais au comte Almaviva, je vis que mon cas devenait sérieux. N’avais-je pas commis l’imprudence de mentionner par la même occasion leurs BHL et DSK ? Mon erreur fatale fut pourtant de révéler, comme projet de Shahrazad, le secret qu’il me fallait ignorer : cette émission spéciale d’Apostrophes au sommet de la casbah. La Société du Spectacle et ses hors-la-loi...

Ô spectres d’une imagination convulsive ! Mais j’erre libre. Tout est calme. Je suis un immigré clandestin, perdu dans ce jardin public au Maroc. Fuyant les contrôles de la police à cause d’un faciès occidental. Sans fric ni papiers en règle. Sans même savoir de quels siècle et continent je suis originaire. Je pense aux nuits de l’Atlantide, belles à mourir, et ce souvenir m’aide à m’évanouir dans un buisson d’hibiscus…


Séminaire de la Sphère
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