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Séminaire de la Sphère

18

Que vous viviez ou que vous dormiez, le temps laisse une marque indélébile. Shéhérazade est tatouée par les mille ans de son sommeil. En elle se gravent les traces du prochain millénaire. Ces hiéroglyphes disent une légende ayant l’océan pour épicentre. Une fable qui vous rappelle qu’elle vient de la culture sémite, l’idée qu’est l’univers une Sphère dont le centre est partout sans avoir nulle circonférence. Ainsi de l’histoire contée lors de sa Mille et Deuxième Nuit. Ne s’est-elle envolée vers des cimes vertigineuses, avant de plonger en l’abîme d’un océan portant nom d’Atlante ? Ce fut pour explorer l’infini des sept ciels et des sept mers grâce à l’Œil imaginal. Ultime énigme de ce récit, les onze lettres découvertes au sommet de Jérusalem en Atlantide par les 13 accompagnateurs de son trekking sous-marin, dont six ayant eu forme d’ânes pour l’opération Six mules à Sion. Pourquoi ces 3 mots : ISRAëL TO LET ? Ayant tous passion des Lettres, ils ne trouvèrent pas raison d’une location de l’Etat juif. Ce serait la première question posée à ses six invités d’honneur par Bernard Pivot, dès l’ouverture de l’émission spéciale d’Apostrophes en haut de la casbah d’Agadir. La réponse offrirait secrète présence d’un couple d’écrivains dont Shéhérazade se fait joie d’accueillir les âmes en cette nuit… N’entendez-vous pas la musique des Sphères ? Si musique est ce qui touche aux muses, la femme du couple a plaisir singulier d’entendre en ce moment l’opus 35 de son compatriote Rimski-Korsakov, une symphonie baptisée de mon nom. Que la mer s’ouvre donc pour engloutir toutes les mascarades ! Et que vous tous, ô sept milliards d’humains, trouviez jouissance à résoudre les énigmes de vos existences ! Par paliers je fais monter ma voix dans un grand crire qui n’est pas de votre monde et sans lequel pourtant ne serait de monde. Car si Dante vit en son Enfer « le ver qui traverse le globe », n’en eut-il pas révélation de Béatrice ? Les sept Pléiades, filles d’Atlas et de Pléione, luisent aux cieux pour éclairer les cimes de l’Atlas. Comme il a perdu de sa superbe, le dragon qui s’est emparé du monde en exhibant le masque de l’archange ! Au couchant des colonnes d’Hercule, comme il apparaît en pleine lumière, le champ d’ordures tombé sur ce charnier des âmes ! À mesure que s’élève un cri depuis la dalle où gît l’humanité, s’y déversent des immondices étouffant ce cri. Toute industrie paraît mobilisée dans un dessein : produire de la fange afin d’en inonder le cimetière, où risquerait de s’entendre un gémissement d’épouvante. Excréments et détritus s’entassent pour ensevelir l’esprit des morts sous une sépulture exprimant les « valeurs » de la présente société…


 un couple d’écrivains


Descends ma belle étoile sur la nuit des Atlantes, viens réveiller des yeux qui étaient morts hier ! J’ai lancé cet appel à Shahrazad, l’un et l’autre debout sur la muraille ceignant un espace illuminé de projecteurs. Car sa voix ne peut plus me tromper. Quel triste aveugle j’ai pu être, à ne pas voir une Béatrice m’ayant fait don de sa vie. N’est-ce pas son regard qui m’a permis de traduire le Tout du Monde en poème sphérique ?...

C’est un des cercles de l’enfer que cette geôle circulaire figurant l’enclos médiatique. Au centre de l’arène, vide et noir, un plateau de télévision. Six puissants spots jettent leur lugubre clarté vers les cieux. Jamais note musicale n’explosa de la sorte. Quand retentissent les premières mesures du concerto, s’élève une rafale d’arpèges et chaque faisceau lumineux découpe une silhouette marchant vers le cœur du décor, pour prendre place dans un fauteuil dont le dossier scintille d’ampoules multicolores… L’heure est-elle encore, pour Shahrazad, à clamer que les propriétaires de l’humanité sont d’abord maîtres de son vocabulaire ? Que les mots sont des fards exprimant le contraire de ce qu’ils signifient ? Que, dans une anthologie de l’antilogie, la palme reviendrait à l’usage habituel du mot valeur ? De préférence au pluriel, assorti du possessif et de quelque épithète faisant masque à la supercherie : nos valeurs laïques- humanistes-républicaines-démocratiques-universelles ? Ainsi leur négation s’accomplit-elle par la grâce de l’affirmation, tant il est entendu qu’y contrevient l’adversaire désigné – tout ce qui s’oppose à la tyrannie du Moloch...

Voyez-vous, Monsieur Pivot, la question n’est pas que ces mots sont de sens dépourvus, mais qu’ils ne désignent pas d’autre « valeur » que celle du profit que rapporte aux propriétaires du monde un vocabulaire à leur convenance. Le subterfuge ne court aucun danger d’être éventé tant est assurée loi du silence à propos du vrai signifié de la valeur : il faudrait que la pensée de Marx soit de notoriété publique, ce qui rend le risque nul. Mais parlons d’idéal universel. Il correspond au communisme, plus originel et riche d’avenir que jamais. Car il assume l’enjeu messianique, philosophique et poétique d’une civilisation. Contre quoi la « valeur », analysée dans Le Capital comme loi de celui-ci, est instrument de mesure quantitative permettant de réduire toute vie humaine à une équivalence.


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