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Conciliabule des ânes 2
Information
de première main, garantie par l’Institut français d’Agadir. Et la
récipiendaire du Médicis, aussitôt couronnée, dédiant son trophée à la Garde
des Sceaux d’origine guyanaise, méchamment agressée par une petite fille pour
la couleur de sa peau. Dans quel monde vivons-nous Maman. Pas mal de fillettes
ne font-elles pas vaciller les ministères de nos jours ? Il faut
beaucoup aimer les hommes, s’intitulerait le roman primé, « qui
raconte l’amour d’un Noir et d’une Blanche », car l’auteur pense que
« l’humain du futur sera beige foncé avec des cheveux bruns ».
Entends-tu ça Maman ? L’équivalence abstraite exigée par le marché des
biens se traduisant dans celui de la littérature. Ainsi va la Parole soumise à
la Valeur. C’est toi qui me le dis, depuis l’Atlantide. Mortels régis par les
entrailles plus que par le cerveau. D’où le pouvoir des meutes carnassières sur
les troupeaux de ruminants. Qui par soif du sang tient la mangeoire tient
l’étable. Est-il autre marché que celui de la viande ? J’écris ce que tu
dictes, mais tu y vas fort ! Ainsi la controverse relative au commerce de
chair femelle vive ne solliciterait pas davantage le théâtre de l’Atlantide que
cent faux autres débats, si l’initiateur n’en était l’une des six mules
véhiculées par Shahrazad. Un certain Beigbeder, tenancier de stands lucratifs
sur le podium aux simulacres. Dans son rôle il se doit d’entonner une rengaine
symptomatique : « Hey babe, take a walk on te wild side ».
Comme s’il avait autre expérience que celle de la Bête Sauvage – formule
de Hegel pour nommer l’aliénation du marché, que Marx traduira dans les termes
du monde ensorcelé de la marchandise. Chaque semaine la tour Panoptic
fait retentir sept polémiques, pourvu que ne soit pas mis en question
Kapitotal. Oh, comme j’aimerais que tu participes à la mise en scène de
Shahrazad ! Réel et idéal hors l’enclos des représentations humaines, les
antagonismes entre élus et damnés sont occultés comme broyées les catégories de
la nostalgie et de l’utopie dans une gigantesque idéalgie. Cette bimbo
propulsée star en quelques clics visionnés par des millions de proies pour
avoir dit « Allô », quand il faut ignorer le sens d’ « Allah ».
J’entends ta voix murmurant une berceuse de l’enfance, mais quelles sont les paroles que tu chantes là ?...
ATALLA ALA TAL AL ATLAL AL ATLASI
آطَلَّ
عَلى طَلّ
الأطلال
الأطْلَسي
VUE SUR LA BRUME DES RUINES ATLANTIQUES
C’est ce que
dit, en langue arabe, la berceuse de maman morte demain. Le temps allant et
venant nous sommes le lendemain, jour de ton grand voyage. Une escapade hors du
jardin d’Olhao, loin de l’Institut français, me fut autorisée par Shahrazad
vers le lieu dit « rocher des djinns », à l’endroit même où l’Atlas
plonge dans l’Atlantique. Jamais je n’avais vu si nettement la courbure de
cette planète. Grâce à ton regard, Mother. Et tu n’en es pas à ta dernière
intervention dans cette histoire. Attention à ce qui suit ! Sur la ligne
de l’horizon marin, soudain percent dômes et tours d’une île au loin qui se
balance aux sons d’un orchestre caché sous la masse liquide pour jouer
l’adaggio du Requiem d’Albinoni, entre des murailles tendues par les
nuages. La boule rouge du soleil surplombe exactement le temple d’Hérode. Alors
il se met à souffler sur l’ensemble de la pyramide que représente Jérusalem un
vent singulier. Tout ce qui était la routine s’infléchit d’une pente
inattendue. Ceux-là qui, la veille encore, acceptaient l’ordre inversé des
choses, tout à coup se mettent à le refuser, les uns n’acceptant plus que des
médiocres partout occupent les postes du pouvoir, les autres se révoltant contre
le fait que les braves gens d’en bas soient l’objet d’une aussi cruelle
tyrannie. Dans le temple même, chacun put voir se jouer une scène qui devait
moins à Shahrazad qu’à toi Mother. Une scène imprévisible : un coup de
théâtre comme on dit. L’Hexagone montra qu’il surpassait le Pentagone dans
l’allégeance à l’étoile de Goliath. On entendit (tous les cadres au mur de tous
les lieux publics durent en vaciller) le masque représentant la France des
droits de l’homme lancer une idée généreuse et impartiale, qui comblerait tous
les acteurs du conflit déchirant la Terre sainte. Il proposait l’immédiate
création de deux Etats pour deux peuples souverains et respectueux l’un de
l’autre. Dans le cadre harmonieux de la communauté des nations, qui ne pouvait
manquer d’acclamer à l’unanimité cette solution coulant de la source même du
bon sens, Napoléon Vbis déclara solennellement que si l’Etat-nation du peuple
juif était bien de toute évidence biblique Israël, il revenait au peuple
palestinien d’avoir son Etat qui aurait nom de Juda.
N’était-ce
pas l‘équitable solution qui mettait fin à tous les problèmes ? Les
caméras de la tour Panoptic eussent offert à l’univers une vision de triomphe
sacral signifiant l’apothéose des suprêmes valeurs de Kapitotal, si les quatre
chevaux du prophète Ezéchiel – repris dans l’Apocalypse de Jean – ne
s’étaient mis à braire au plus haut du ciel, car ils avaient l’apparence d’ânes
et ils étaient six, traçant un double triangle inversé… Quelqu’un qui aurait vu
cela se serait demandé. Mais les caméras ne le captèrent pas. Nul ne put donc recevoir
ton offrande surnaturelle au monde, Mother, qui ne l’eût aperçue depuis
l’en-dehors de la pyramide. Ce pourquoi j’étais là. Ce témoignage des
puissances invisibles, auprès des mortels j’en devenais le messager. N’est-ce
pas, brayaient les ânes de concert, bonne mesure qu’un demi-siècle de recul pour
un humain désireux d’embrasser d’un coup d’œil l’ensemble de sa vie ? Ce
qui nous reportait en ces jolies années 60 où tu t’esquintais tellement pour
nous faire vivre dignement dans les modestes conditions d’après le retour du
Congo. Si l’on pouvait donc revenir en arrière, clamais-tu par le museau des
ânes, sachant les duperies qui se tramaient alors, d’un point de vue communiste
– le tien, près de Shahrazad – il fallait de toute nécessité soutenir
de Gaulle et Malraux contre Debord et Mitterrand, ce par quoi Nixon eût été incapable
de perpétrer son forfait de 1971, préludant au pouvoir mondial de la finance, d’où
l’Union soviétique existerait encore et Dominique de Villepin serait à
l’Elysée, présidant un gouvernement dirigé par Ségolène Royal avec Régis Debray
au Quai d’Orsay, Jean-Luc Mélenchon place Beauvau, Patrick Chamoiseau au
Tout-Monde et mille bénévoles régissant collectivement le magistère de la Sphère…
Kapitotal et
tour Panoptic seraient, en l’hypothèse que tu nous offres, de mauvais rêves
dans un buisson d’hortensias de ce jardin d’Olhao près de l’Institut français
d’Agadir, où se poursuit mon cauchemar. Hollande et Sarkozy fonctionneraient au
service de l’un ou l’autre ministère, selon leurs compétences, en un monde où
l’économique obéirait au politique, lui-même de très haute culture ne serait-ce que par nécessité de carrière.
Mais maman est morte demain.
Toi qui chantais de si beaux fais dodo, confie donc ton sommeil aux hortensias dans les jardins de l’Atlantide…
Une
traversée de sa propre vie, comme de l’histoire humaine incluse en le cosmos,
et de toute la littérature : quelle autre mission du Livre ? Certains
mystères ayant explication dans d’autres mondes, et dont l’art offre
prémonition, sont l’enjeu même du théâtre de l’Atlantide. À ceci près que la
dramaturge y exécute un constant va-et-vient de la scène où son drame est
visible et audible par les mortels, aux territoires d’au-delà qui leur
confèrent un sens d’outre-sens. Ainsi lui obtempèrent les images comme le génie
de la lampe obéit à Aladin. Ce qui n’est pas du goût des industries sons et
lumières. En un monde où le mort saisit le vif, régi par des cadavres en guerre
contre l’humanité tels ceux qui acclament un masque à la Knesset, interdiction
de franchir la frontière vers un ailleurs autre. Toute alternative à Kapitotal – et
jusqu’à l’hypothèse d’une issue possible au dédale – une fois condamnées
par la tour Panoptic, prolifère une psychose collective ayant pour proie
l’altérité. De l’enclos lui-même comme de tout au-delà forclos se nourrit
l’allophobie. C’est affaire de cerveau reptilien : combat de sauriens.
Carapaces et mâchoires. Tumeur de l’esprit. Mille baumes du cancer fleurissent
aux échoppes du marché de l’âme, anesthésiant la douleur sous prohibition
formelle d’analyser la nature du mal. « À la veille de quoi sommes-nous,
de quels meurtres, de quelles guerres civiles ? », écrit Aragon
dans Blanche ou l’oubli, qui paraît en octobre 1967, les mêmes jours que
La Société du Spectacle. C’est une exubérance de spectacles que Blanche
ou l’oubli. C’est prolifération d’oublis que La Société du Spectacle.
Un peu plus loin dans ce roman qui anticipe la critique de Mai 68, Aragon
poursuit la vision des feux de son époque en écho à ceux du siècle précédent.
« Demeurent des reflets de la Révolution de 1848, dans le Front
Populaire, et en général une sorte de résonance, d’un siècle sur l’autre, dans
les souffrances des êtres humains, en tant que pièces de cette machinerie qui
ne se laisse pas réduire à des schémas superposables sous le Second Empire et
la Cinquième République. La science a encore fort à faire, avant de pouvoir intégrer
dans ses classifications l’aventure humaine. Ce qui, dans ce domaine, lui
échappe encore, porte le nom de roman. » Mais suis-je encore vivant ?
Je cherche des yeux dans un autre monde la table où Hector, Louis et Elsa ont accueilli Mother…
« Ah
ça ! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au
monde », s’exclame Rimbaud dans sa Saison en enfer. Mother
n’a-t-elle pas aussi rejoint la Mother d’Arthur, dont les derniers mots
furent Kerim Allah ? Ce qui se joue par ton écriture, nous
dit-elle, c’est une en-soi-se-mouvant-vie-de-la-mort – dont le sens
absolument s’oppose à celui de la même expression pour désigner le marché
capitaliste se déployant sous les yeux de Hegel : « ein sich in sich bewegendes Leben des Toten »…
Je me
permets de l’apostropher vigoureusement, comme au bon vieux temps. Selon toi,
la Mère, dans l’hypothèse où il n’y aurait eu ni Mai 68, ni Napoléon IV treize
ans plus tard, ni le génocide rwandais par lui planifié treize ans plus tard,
ni Napoléon V toujours treize ans plus tard, et encore moins de Napoléon V bis assassinant
Jaurès devant la Knesset, Madame Taubira ferait-elle partie de l’équipe
gouvernementale présidée par M. de Villepin ? Je le crois, me répond-elle,
et ne vois pas plus belle illustration de la nature contradictoire des réalités terrestres…
Cette
invention de rapports inouïs entre les êtres qu’autorise l’écriture, Mother en
offre ici la preuve. Ce trouvère que fut mon grand-père grec et qu’est devenue
la Mère a trouvé l’issue du labyrinthe. Sur les ailes de l’âme voyagent papillons
des abîmes et perles astrales de l’Œil imaginal. Pouvais-tu croire, maman,
qu’avant de les dire en français j’aurais à prononcer ces mots en arabe : Oummi
mat ? Mais n’était-ce pas vœu de Shahrazad ? La mort est moins
sinistre sorcière que gracieuse fée. Son élixir de vie, l’alambic des Atlantes nous le distille…
Dans le sanglot des étoiles palpite un chant de liturgie profane, et sous mes
broussailles au fond de la nuit j’entends le souffle de la Voie lactée qui allaite
en moi comme le temps. Premier plongeon dans la mer après la mort d’une mère. C’est
elle qui conclura ce séminaire s’étant rêvé l’abécédaire et le syllabaire de la
Sphère. Aidée du doigt de Shahrazad elle écrit dans le ciel en lettres arabes
et alphabet latin :
« vue sur la brume des ruines atlantiques »
ATALLA ALA TAL AL ATLAL AL ATLASI
آطَلَّ
عَلى طَلّ
الأطلال
الأطْلَسي
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