SPHÉRISME > Allèlukhia > Partie II

 Allèloukhia

Rassure-toi, mon ange, ton corps physique ne fut pas recueilli parmi les ordures de la décharge municipale. On n’en est pas encore là, ton avatar matériel peut poursuivre l’halqa. Des formalités policières et médico-légales eurent bien lieu, qui conclurent au désespoir d’une mécréante. Puis tu fus placée dans un cercueil, mains croisées sur la poitrine et inclinée vers la droite en direction de la qibla. C’est un fonds saoudien ou qatari qui subventionne les obsèques des indigents, suivant les règles prescrites aux temps les plus sacrés des guerres contre l’Infidèle roumi.

La fille de Mohammed l’Immigri que je suis n’oublie certes pas ce qu’elle doit à votre civilisation, fécondée par l’œil imaginal. Jamais elle ne reniera la géniale synthèse des cultures produite par l’Europe, qui culminait il y a quarante ans…

Il y a quarante ans se déclare la guerre sans merci de Kapitotal contre l’humanité, dont les travestissements, sous forme de simulacres humanitaires, exigeaient l’appareillage technique de la tour Panoptic… Les propriétaires du monde avaient mieux lu Marx que les marxistes : ils n’ignoraient pas l’inéluctable loi de la baisse tendancielle du taux de profit, comme le rappelle Aragon. Celui-ci tient à le dire à ton amoureux d’autrefois, qui lui rendrait visite une décennie plus tard : son principal regret dans l’autre monde est de n’avoir pu délivrer alors ce message… Depuis l’autre côté du miroir, nous pouvons te révéler que la guerre du pétrole, engagée par les monarchies du Golfe en 1973, correspondait au programme d’un déploiement du capitalisme vers la finance dérégulée, postulant une récession de la croissance économique, une régression des acquis démocratiques et une inversion de la flèche historique lancée par l’étonnant triomphe de l’Union soviétique sur le nazisme. Depuis lors se déchaînent fondamentalismes, intégrismes, terrorismes en tout genre au service d’un même totalitarisme, celui de l’idole globale...

Mon corps subtil continue de parcourir l’espace quadrangulaire entre le fleuve Congo et la Mésopotamie, Bruxelles et Aourir. Elle n’abandonne pas pour autant la scène du théâtre au cœur de l’océan, d’où je te vois à présent courir sur cette plage. Danser serait mieux dire, tant tu parais bondir à chacune de mes phrases, animé d’une allégresse qui n’est pas celle des deux stars invitées à se produire sur la place de Marrakech, autour desquelles s’affairent les équipes de la Panoptic. Wa ida adhemta fa tawakkel ala Allah !  Si tu t’engages dans quelque chose, remets-t’en à Allah : que ce verset du Coran, qui fut la dernière parole de mon père, t’accompagne au long de tes écritures, puisqu’une vague puissante que je t’envoie depuis mon île t’emporte en son tourbillon d’écumes colorées, celles dont je m’enrobe tandis qu’au son des tambourins je m’élance dans l’halqa de la place Jamaâ al Fna.


(L’Atlantique est une loupe – gigantesque et déformante – sur l’Europe. Va-t-en savoir si ses fantasmagories reflètent une vision plus fausse ou plus vraie des monstrueuses réalités !  L’écume a de tels éclats que l’écran de la mer s’oblitère. Un temps de pose pour voir surgir les images. Nul ne garantit qu’elles soient conformes à ce qui est. Disons que l’on fait comme si l’on y croyait. C’est ainsi qu’à travers le filtre de la mer m’est revenue la scène. Celle d’un banal coup de fil aux services de l’ambassade à Rabat…
La voix signale que les lignes sont occupées. Rappeler plus tard. Après épuisement d’une carte à 20 dirhams, et toutes les gammes de tonalités musicales, je demande s’il est possible de parler au responsable de la Coopération belge ayant dans ses attributions l’aide au développement relative à l’eau potable. C’est son heure de table, rappelez demain. Le lendemain je tombe, au numéro communiqué, sur un accent flamand qui me dit avoir eu connaissance du Rapport transmis par le ministère. En juillet, l’auteur de ces lignes s’était permis de rédiger un « Rapport sur la nécessité de financer le creusement d’un puits d’accès à l’eau potable dans le village de Tamaroute ». Ce douar, depuis la plage d’Aourir, peut se deviner niché derrière les premiers contreforts de l’Atlas, à quelque sept kilomètres d’oiseau. L’exode rural a ravagé les campagnes et les villes engorgées ne peuvent plus nourrir une population pléthorique et désœuvrée. Nous sommes au cœur du problème des flux migratoires venus d’Afrique, dont l’Europe se plaint à ce point des conséquences que celles-ci constituent le noyau de ses propres joutes électorales, comme l’illustrerait encore le résultat des urnes en Belgique. Mais quant aux causes ?  Durant mon dernier séjour au pays, le Rapport fut envoyé à une dizaine de fonctionnaires au Ministère de la Coopération. Même si tous étaient d’accord, impossible d’aller plus loin, le ministre étant en pleine campagne pour conquérir le trône dans une importante ville de Wallonie. C’est à Rabat qu’il faut voir. Le type au bout du fil a donc reçu le Rapport, mais il ne l’a pas lu. N’est-ce pas votre métier ?  Je vous interdis de m’apostropher sur ce ton !  Adressez-vous à votre gouvernement. Mais je ne suis pas marocain, je suis belge, et le ministère à Bruxelles m’a renvoyé vers vous. Nous n’avons plus de lignes de crédit. Mais il existe bien des rapports bilatéraux entre la Belgique et le Maroc pour cette question de l’eau potable ?  Il faut que les Marocains s’adressent à leur Etat, nous ne traitons qu’avec lui. Mais alors, si l’on croyait les illusions d’aides au développement des instruments destinés à réparer une partie des dégâts provoqués par les effets de toutes les autres politiques, faut-il s’étonner de voir surgir un salafisme fou, imbécile et criminel ?  N’y a-t-il pas complicité de New York, Jérusalem, Rome, Francfort, Bruxelles et La Mecque ?
)


Bien sûr, toutes les religions sont monstrueuses par la confusion qu’elles entretiennent entre les ordres temporel et spirituel. Mais ne le sont pas moins les fétiches du marché. Ce n’est guère un hasard si ce 26 octobre,  jour de l’Aïd al Ahad commémorant le sacrifice d’un bouc par Abraham, est lancé dans le monde l’ 
« iPhone5 », nouveau téléphone portable dont le coût correspond au revenu annuel moyen d’une famille marocaine. Sans compter qu’avant d’arriver dans la poche de son propriétaire, il a été équipé d’une coque magique achetée jusqu’au dixième de ce prix, quand sa valeur est de quelques centimes. Or, les statistiques établissent que le niveau d’instruction de ceux qui sacrifient à ce culte est supérieur à la moyenne. Faut-il que les humains vivent en l’attente mystique d’une communication surnaturelle !

D’un bond depuis l’Atlantique tu as franchi l’Atlas pour t’installer à cette agréable terrasse, non loin du kiosque à journaux retentissant de mille éloges en première page, la presse entière s’attribuant en quelque sorte le Nobel de la Paix par jury de Stockholm et junte européenne interposés. Comment font-ils aussi vite étalage de leur triomphe ?  C’est l’un de leurs secrets technologiques, non moins mystérieux que le placard annonçant We can change the World pour vanter «  l’emballage intelligent : un rêve que nos logiciels peuvent réaliser ».
Je te vois détourner la tête pour ne pas chercher à comprendre ce que signifie sur une autre affiche le fantasme de cette jeune fille blonde sortie d’un jeu vidéo, tenant devant elle un DVD sur lequel un écran la montre en rousse : HAIR COLOR CONTROL. « Une boussole d’un nouveau genre pour explorer le monde et ses possibilités. Les entreprises innovantes utilisent notre plate-forme 3DEXPERIENCE pour comprendre le présent et naviguer dans le futur. » Pour en savoir plus : 3DS.COM/CPG, Panoptic Systems !

L’immense foule des fidèles de cette religion nouvelle ayant ses rites magiques, son rituel cérémonial et sa langue sibylline plus impénétrable que l’ancien latin de cuisine ou que les noms sacrés prononcés par le rabbin dans le temple, est cataloguée par ses grands-prêtres eux-mêmes sous l’appellation d’Emerity Normalizated Citizens of Urban Liberal Educated Society. Leurs adeptes se reconnaissent à ces initiales secrètes. Ce sont eux que les propagandes officiant au nom du Saint Office, dans ces organes diffusant la vulgate que sont journaux et magazines, ont encensés pour la ferveur de leur foi du Maghreb jusqu’au Machrek. Ce sont eux que l’on sanctifie quand ils risquent leur vie au service de leur foi, défiant par des hymnes le pouvoir en Russie et en Chine. Ces élites intellectuelles et spirituelles ne s’opposent-elles pas aux arriérés des campagnes, qui constituent la base électorale des régimes autoritaires ?

Le jeune tenancier du kiosque secoue la tête en cadence. Il porte un tee-shirt noir arborant le titre du quotidien français de référence, dont se déploient les pages sous tes yeux. Ne fait-on pas ici commerce de la plus haute intelligence ?  Tu peux lire, à la page intitulée Débats : « Oui, l’islamisme radical et le nazisme sont deux idéologies comparables ». Signé par le Président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). L’auteur de l’analyse vient d’être l’hôte à l’Elysée du nouveau président de la République, M. Joseph Prudhomme. En somme, pour les deux hommes, la radicalité de l’islam s’assimile au projet d’Auschwitz en ce qu’elle promeut « la déshumanisation de l’Autre », n’hésitant pas à stigmatiser les fils d’Abraham comme « bâtards de singes, de porcs, d’ânes ou de chiens ». Ce qui aurait fait rire mon père Mohammed l’Immigri, traité d’aucune autre manière toute sa vie de travailleur en Belgique et dont le père se prénommait Ibrahim. A quoi ne manquent pas d’applaudir trois babouins de l’Atlas faisant leurs cabrioles du côté du kiosque à journaux, dont le souriant tenancier se déverse dans l’oreille un jet de son égout sonore portatif.

Mes deux compagnons d’aventures dans les sphères célestes entendent ces plaisanteries avec une encore plus grande joie que ton vieux père Mohammed l’Immigri. Au même kiosque, l’éditorial du prophète Josué répand les mêmes insanités. La caractéristique de cette époque est que les édifices de la domination matérielle se sont multipliés de mille étages quand la demeure de l’esprit fut diminuée d’autant ces quatre dernières décennies. Partout la gauche officielle n’a-t-elle pas trahi le mot d’ordre de Jaurès « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières », pour inverser cette formule par leur soumission aux féodalités financières ?  Aragon nous fait remarquer qu’était inconcevable il y a quarante ans la mise en concurrence des prolétaires tendant à une équivalence de leur force de travail en Europe et dans le Tiers-Monde. L’Union soviétique assurait alors une médiation forçant le Capital au respect de principes garants du progrès social sinon de l’avenir radieux. Sa chute, comparable à celles de Carthage et de Troie – comme il n’a pas manqué d’en inspirer le thème à ton ami l’écrivain belge – fait aujourd’hui se rejoindre les salaires au Brésil et en Grèce. Il fallut, pour ce triomphe de Kapitotal, que la tour Panoptic éclairât de ses feux le minois d’agents de l’opinion capables de travestir une propagande en pensée philosophique, non sans grande habileté dans la contrefaçon… L’on retrouve encore ici, selon Gershom Scholem, l’idéologie biblique de la terre promise au peuple élu par volonté divine, vieux stratagème qui déguise en intérêt général des cupidités particulières. Ce constat banal est entouré d’un tel tabou, qu’il serait taxé d’antisémitisme s’il n’émanait de l’un des plus importants penseurs du judaïsme contemporain. Toute critique du capitalisme n’est-elle pas menacée de pareille accusation, ce pourquoi demeure frappée d’interdit La Question juive de Karl Marx ?

Mon avatar physique enroulé de voiles écarlates baigne dans les entrailles d’un monde palpitant de musiques, de parfums, de regards épicés. Chacune de ses particules vibre avec tous les corps entourant l’halqa, parmi gargotes ambulantes et marchandises étalées à même le sol. Mais comment ne pas éprouver aussi les effets de l’offensive guerrière menaçant dresseurs de singes, acrobates et jongleurs, enfants saltimbanques, charmeurs de serpents, diseuses de bonne aventure aux mains ensorceleuses ; offensive guerrière dont le grondement sourd du kiosque à journaux comme des bombardement décibéliques du podium où s’affairent les agents de la Panoptic, disposant leurs barrières contre une frénétique nuée de jeunes aimantés par ces explosions électroniques, plus puissantes que l’appel à la prière du muezzin proclamant l’unicité divine en haut de la Koutoubia…

Le modèle seul d’une théocratie biblique pouvait générer le fanatisme d’une croisade idéologique dirigée, depuis quarante ans, contre toute velléité d’alternative au capitalisme. Il est vrai que les ruses déployées dans cette manœuvre tirèrent profit des stupidités adverses. Occultées les pensées de Marx et de Lénine, de Rosa Luxembourg et de Gramsci, d’Ernst Bloch et de Georg Lukacs, de Bertolt Brecht et de ce grand ami de Gershom Scholem que fut Walter Benjamin, se voit légitimée l’anti-dialectique absolue d’une division du monde entre maîtres et esclaves...

Quelle géhenne se prépare-t-elle au nom d’un peuple élu dont figures de marque sont les deux vedettes prévues pour l’émission Septième Ciel ?  Tournée vers la mosquée devant laquelle des chiens errants reniflent soupçonneusement la trace  d’une prophétesse en colère, prise d’une ivresse extatique, je laisse mon corps subtil reprendre de la hauteur pour survoler coupoles et minarets coiffant la médina des Sept Hommes Saints, pendant que mon apparence matérielle s’efforce d’articuler dans une langue de source pure :
« Humanité recluse en des écrans tactiles te faisant obéir au doigt et à l’œil, ton cerveau s’empoisonne de sons et lumières dont s’anéantit jusqu’au souvenir de la source comme d’autres rivages possibles au-delà de cet horizon cellulaire… Alors, écoute et regarde un peu : l’oyante et la voyante Moutanabbya al Ghadeba se dévoile et te parle ! ».

Un nimbe de lumière astrale favorise notre vagabondage au-dessus de la médina des Sept Hommes Saints. Dans le cimetière où tu reposes, les ensevelis des mausolées communiquent dans des langues imaginales. Aveugles les regards qui ne voient pas combien nous les veillons !  Sourdes, les oreilles qui n’entendent pas nos prières !  Muettes, les bouches bavardes !...

Ces voyages dans l’entremonde mettent en jeu la lumière pour la vision comme pour le son. Messagère constituée de photons – premières particules de l’univers – venus du fond des âges, mes fibres ondoient depuis treize milliards d’années pour véhiculer une musique sans commencement ni terme, qui berça la création du monde et produira son requiem. Toute prophétie comme toute philosophie prend source en cette musique n’ayant de finalité qu’une mer où elle s’abandonne avant de revenir à la source par les nuages en un cycle perpétuel. Ainsi l’aventure de la vie s’accomplit-elle dans le chant de la sirène du fleuve cosmique...

Avenir, tu nous entendras...

Un éclair m’indiqua de sa flèche la voie de l’avenir. Quel autre miroir du futur que cette scène immensément liquide au carrefour des continents ?  Le rideau rouge du théâtre ne figure-t-il pas un crépuscule à travers lequel projeter sur l’opaque nuit du monde la clarté d’un autre jour ?  Contre les projecteurs de la tour Panoptic, il faudra tenter d’éclairer comment jamais à ce point les maîtres n’avaient subjugué l’âme de leurs esclaves dans les ténèbres d’une caverne dont les images des écrans tapissant le fond confirment la métaphore de Platon ; servitude volontaire imposée par un fouet mental distillant son poison létal.

Car nous croyons toujours à des lendemains qui chantent...

C’est la mouette qui te parle, elle qui battait désespérément des ailes dans un pull trop large la nuit de notre première rencontre à l’Œil nu. N’est-ce pas un globe oculaire énorme qu’évoque la rotondité de cette surface liquide au milieu de laquelle s’est posé mon corps subtil, comme au centre d’une pupille ?  Tu croyais pouvoir vivre de lucidité, résumée dans des chimères qui prétendaient détruire le Spectacle !  Je t’ai alors cousu un pantalon de velours cramoisi, taillé dans un rideau de théâtre. Qu’est jamais d’autre celui-ci que la tragédie d’une mouette blessée à mort ?  Une mouette qui survit pourtant à toutes les blessures du monde et, ne connaissant pas d’autre appel que celui de l’horizon, trouve encore la force de s’envoler vers le soleil d’un idéal au-delà de la mer.

Qu’Allah vienne en aide à toutes les mouettes !

Le vacarme visuel et les éclats sonores du grand show me parviennent toujours. Ils imposent aux humains cécité, surdité, mutisme tels que leur destin ressemble à celui de ces trois singes exhibés par un dresseur sur la place Jamaâ al Fna, dans lesquels peu de spectateurs se reconnaissent quand ils s’obstruent des mains la bouche les oreilles et les yeux.

Ne nous dévouons-nous pas pour les voir, leur parler, les entendre ?

Je m’empare de cette scène pour la transposer dans ma pièce de théâtre au cœur de l’Atlantique, n’en poursuivant pas moins la danse de mon corps physique au milieu du cercle enchanté. Comme la vraie révolution de l’information n’a pas encore eu lieu, qui dans une société future utilisera les propriétés photiques de pouvoir se trouver en même temps dans des lieux différents, je m’en remets à toi pour décrire un spectacle où ma ventriloquie fait s’exclamer ces trois babouins de l’Atlas à la stupéfaction des touristes  : « Achetez dans l’au-delà !  Rendez-vous acquéreurs de terrains à bâtir avec vue imprenable sur les sphères célestes !  Garanties de crédit chez Goldman-Sachs ! »

Nous ferions d’excellents agents immobiliers...

Je te vois secoué de spasmes devant cette scène. Tu penses aux macaqueries des officiels payés pour enregistrer les musiques de l’écriture, qui sélectionnent tout bruit possible à l’exception du chant de la sirène. Tu voudrais à la fois pleurer et vomir pour te purger de leur poison dont s’intoxique ton cerveau. Mais l’un des trois singes échappe à son maître et s’élance vers la terrasse où tu es attablé. D’un bond son cul rouge atterrit sur ton journal. Une main saisit le verre de thé qu’il porte à tes lèvres, l’autre agrippe tes cheveux à l’arrière du crâne. La rasade engloutie, tu te laisses entraîner par ses doigts noués aux tiens dans la direction de l’estrade où pulsent les battements électroniques.

Cet écrivain belge n’a pas oublié les lumières de l’enfance en Afrique et voit déjà celles d’une mort prochaine sur le même continent !  Souffrez qu’il fasse d’un babouin son ultime confident, comme peut-être le scribe qui seul témoignera de lui pour les temps futurs…

Chaque instant naît un événement sensationnel coupant l’histoire en deux ères distinctes, la nouvelle aussitôt remplacée par une autre dans une infinitésimale succession d’obsolète et de révolutionnaire : telle est la loi de la modernité, qu’elle s’applique à des bouleversements politiques ou à ce sit-show de la chaîne Panoptic. Le concept en est connu de tous. Un couple de célébrités médiatiques va changer le monde en une heure, par la joute verbale qui l’oppose autour d’une marmite à faire bouillir dans un décor original. On vit la semaine dernière Marine Le Pen et Nelson Mandela touiller le chaudron magique dans l’ambiance électrique autant que conviviale d’une township à Johannesburg...

La reine d’Angleterre et Mario Draghi ?  Le pape et Lady Gaga ?  Henri Kissinger et la veuve Pinochet ?  Sir Ecclestone et Steve Davignon ?  Elio di Rupo et Burlesconi ?  Le fantôme de l’abbé Pierre et Bernard Arnault ?  Bill Gates et Manneken Pis ?  L’émir du Qatar et Carla Bruni ?...

(Malgré les clameurs nocturnes se glissant par la fenêtre, voix de femmes dans la ruelle sur fond de musique berbère, le souffle me parvint d’une feuille tombée dans le fond du jardin près de la cabane au milieu des bouleaux depuis les cimes d’Everberg. J’entendis son cri : par quel sortilège ?  Il n’est d’ouïe si fine qu’elle autorise le plus ténu murmure naturel à franchir 3.000 kilomètres me dis-je, à moins qu’il n’y faille voir nouvelle action surnaturelle. Et si, comme la double vue, nous les êtres doués de parole étions dotés de sens que leur usage habituel rabougrit au point de faire accepter comme norme leur infirmité ?  Dès lors cet œil imaginal, dont se veut mise en œuvre le présent théâtre, ne serait-il pas un organe atrophié de longue date par de telles aliénations sociales, qu’au royaume des pires handicaps visuels soit roi le cyclope de la tour Panoptic ?  Ainsi se comprendrait que les vessies de l’esprit plus haut citées, couples d’outres vides, soient lanternes Kapitotal. Ainsi s’expliquerait qu’en cette heure sans précédent de l’histoire où les maîtres de l’humanité, comme jamais propriétaires de biens matériels sans mesure (eux dont le pouvoir tient en la mesure des valeurs), délestés de toute culture (quel art mémorable n’est démesuré ? ), puissent à leur gré duper la foule au point de lui faire prendre ses intérêts pour les leurs. Ainsi s’éluciderait ce comble de la tromperie présentant « les révolutions européennes de 1989 », et « celles du réveil arabe en 2011 », comme une réappropriation par les peuples de leur avenir. Du moins, dans les temps du dogme chrétien, les féodalités pressurant la masse assuraient-elles à ses sacrifices la garantie d’une rédemption dans l’au-delà. Contre une telle idéologie, la pensée critique opéra le basculement conceptuel de l’ère moderne, par quoi les gueux déshérités ne se leurraient plus de tels songes mais plaçaient leurs espoirs dans le combat pour une meilleure vie future ici-bas. N’existait qu’une alternative. Avènement brutal par la révolution ; graduelle amélioration. Dans tous les cas, promesse d’embellie pour les générations à venir. Or voilà que nos maîtres, d’une main raflent aux pauvres le peu qu’on leur avait concédé pour prix de leur servilité, de l’autre désignent à l’Est et au Sud ces soubresauts manipulés, sommant les foules occidentales de voir en Orient se concrétiser toutes les espérances du monde par la grâce des bombes. Et ce n’est pas fini !  Demain, ce sera le Mali. Quand hier encore l’humanisme révolutionnaire ne se donnait à entendre que d’une infime part de l’intelligentsia, qui avait lu Marx, n’est-ce pas aujourd’hui tous les prélats menteurs de la tour Panoptic et tous les barons voleurs de Kapitotal qui s’en réclament ?  Il s’en faut d’un œil imaginal pour voir ces tristes sires accomplir leur geste historique : celui de renverser eux-mêmes la table où gît le parchemin du contrat méphistophélique.)

Tournoyant toujours comme une flamme vive, j’ai fort à faire dans ma djellaba de soie rouge, une capeline et des voiles écarlates me couvrant le visage et le corps, pour conserver les faveurs d’un troupeau de touristes en shorts et chapeaux de far-west ayant déjà capturé mes voltes incendiaires dans leurs enclos numériques. La foule rassasiée d’images exotiques a migré vers le podium du Septième Ciel, protégé par une haie de barrières métalliques. J’observe ta dérive dans cette marée, le singe posé comme un enfant sur tes épaules, puis ton heurt contre un mur de gorilles aux chasubles jaune fluo portant la marque de l’émission, diffusée dans le monde arabe sous l’appellation Samâaou Sabbyâtou.

Ô condamnation du septième étage de l’esprit !

Bientôt je reste seule au milieu de la place, tout son public avalé par l’attraction planétaire. Les survêtements des vigiles brillent en outre d’un habile jeu de mots dans la langue du Cheikh El Akhbar : LKM – KLM. L’écriture sémitique étant construite sur des racines de trois consonnes à l’exclusion des voyelles, chacun peut lire ici « LaKouM KaLiMa ». Soit : « A vous la Parole ».

Nous les prenons au mot.

Il s’agit du principal slogan Panoptic diffusé par la chaîne Al Jezira du Qatar, depuis ce qu’on a nommé le printemps arabe. Selon le même principe, les deux invités de ce soir se sont vu attribuer un sigle trilitère aisément reconnaissable par les centaines de millions de spectateurs. Cette facile identification permet au plus grand nombre de participer à jeux et concours publicitaires entourant le show. C’est ainsi qu’au héros dont le destin fut brisé par une conjuration de forces mauvaises est attribuée l’infortune d’avoir été piétiné, soit DaSaKa : lui revient en cet honneur le sigle DSK. Quant à celui dont jamais l’étoile ne pâlit, pouvant à juste titre se prévaloir d’un sobriquet des plus flatteurs comme « à moi la splendeur », sous quel autre surnom les foules du Maghreb au Machrek l’acclameront-elles que sous celui de BaHyaLia, c’est-à-dire BHL ? 

Une kafkaïenne déesse K. ?  L’offre démoniaque de quelque baie à Shell ?

Ces labels de qualité composés chacun des trois lettres, en rouge et en bleu, figuraient de part et d’autre de la marmite sur deux écus en forme de couvercles d’un mètre de diamètre – d’or et d’argent – dont nos stars  auraient à s’armer comme de boucliers pour parer l’assaut verbal de l’adversaire, chacun muni d’une énorme cuiller en guise d’estoc.    

Divertissement garanti trois millions d’années de vintage.

De mon spectacle à moi le rideau pourpre s’ouvrira quelques milliers de lieues plus à l’Ouest, en plein Atlantique, sur une sentence à tout prendre moins grave sous les apparences que cette farce tragique se jouant au pied de l’Atlas. Osera-t-on m’entendre ?  Oui, n’en déplaise à tous les BHL comme à tous les DSK, je revendique un fanatisme, un radicalisme, un fondamentalisme qu’autorisent mes connaissances des racines grecque ou latines de ces mots. Le premier ne signifie rien d’autre que « enthousiasme » dans la langue d’Homère ; être « radical », comme le rappelait Marx, veut dire prendre les problèmes à la racine ; quant aux fondamentaux, c’est ce dont l’absence fait de la culture occidentale un champ de ruines comparable à ces temples des civilisations mortes, animés encore par le babillage des singes.

Qu’à tout prendre nous préférons aux ecclésiastiques de toute obédience.

Comme, au milieu d’une place désertée par la foule, je me laissais aller à cette rêverie, mon attention fut attirée par celle des vigiles. A distance, ils semblaient aimantés par l’un des spectateurs ayant pour couvre-chef un babouin. Ne s’agissait-il pas de quelque terroriste en embuscade, misant sur le prétexte culinaire de l’émission pour intervenir pâtissièrement ?  Des consignes d’autant plus strictes avaient été prises qu’en son dernier éditorial, BHL abondait dans le sens du président du CRIF pour fustiger la complicité des communistes avec l’extrême-droite en matière d’antisémitisme assassin, toute comparaison du port de la kippa dans l’espace public avec celui du voile dénotant un djihadisme génocidaire dont les magazines attestaient la sanglante actualité ; quand ils n’illustraient pas le grand retour, après complète réhabilitation de son honneur souillé par la conjuration des mêmes ennemis d’Israël –  ô fantasme pervers du Juif riche et puissant – de son adversaire du jour DSK. N’était-il pas question, d’autre part, d’une possible apparition sur le podium du ci-devant président de la République française, auquel tous deux devaient une part notable de leurs gloires bien qu’ils affichassent des opinions en tout point opposées ?  Napoléon V, selon les mêmes sources, ne venait-il pas comme eux d’acquérir un ryad en la palmeraie de Marrakech, doté d’une piscine superbe ainsi que du plus prestigieux terrain de pétanque de la ville des Sept Hommes Saints ?
Pour ces raisons sans doute s’expliquait un retard du programme, le transfert des trois sommités nécessitant l’usage d’un hélicoptère. Une bouillie de sons divers faisant patienter les consommateurs, j’en étais à mesurer l’abîme séparant toutes les données que je viens d’énumérer, remarquables par leur caractère nécessaire tant elles sont les apanages des grands de ce monde, et le caractère contingent des pensées d’un homme perdu dans cette foule, qu’un babouin sur les épaules désignait comme suspect de comploter quelque attentat par moyen clownesque : dans son esprit, l’entarteur Le Gloupier faisait partie des shows de la Panoptic.

Les mortels savent peu notre nostalgie pour les tartes à la crème...

A cet instant bondirent sur scène les deux autres singes. Le public impatient les fêta d’une aussi chaleureuse ovation que s’il s’était agi des champions attendus. Saluant à leur tour, ainsi que des artistes rompus aux échanges professionnels avec la foule, ils soulevèrent un tonnerre de clameurs en s’emparant des cuillers pour lances et des boucliers. Surexcités par l’ambiance qu’ils venaient de créer, BHL et DSK plongèrent leurs armes dans la marmite et tirèrent de son ventre une louche pâteuse qu’ils s’empressèrent de laper. L’extase atteignit son comble quand le compagnon de tes épaules, en quelques cabrioles passant de tête en tête par-dessus les spectateurs aux anges, rejoignit le podium et s’empara du micro.

Nous contribuerons humblement à favoriser ce qui suit...

La suite releva de mes dons de ventriloquie. Le dresseur voulut grimper sur l’estrade afin de récupérer son cirque de rue, mais il fut sommé par le public de lui laisser pleine jouissance d’une aussi rare attraction. Malgré la simiesque intervention de tous les organisateurs, qui alimentaient l’audimat à mesure de leur impuissance à s’emparer des perturbateurs, ce fut le trio qui tint les rôles de l’animateur et des invités d’honneur. N’étaient-ils pas imitateurs d’imitateurs ?

— Le primate qui déclencherait une explosion
— Moyennant guère plus de sacrifices humains
— Que l’ensemble des accidents mortels
— Décès dus à des maladies professionnelles
— Et suicides occasionnés chaque jour
— En raison des aliénations physiques et mentales
— Intrinsèques au capitalisme
— Anéantissant la tour Panoptic
— Cette machine à ordures
— Visuelles et sonores
— Fonctionnant pour conditionner
— Par abrutissement programmé
— La masse des esclaves
— Où se pompe le profit
— De Kapitotal
— Générant par son geste
— Une immense respiration de silence
— Dans plusieurs milliards de cerveaux
— Rendus à leur humanité native
— Celui-là serait le plus grand bienfaiteur
— Qu’ait connu l’homo sapiens

Jamais le Plérôme suprême n’était intervenu par voix de primates...

Telles étaient les pensées d’une prophétesse en colère voyant se dérouler les préparatifs de l’émission Septième Ciel sur la place Jamaâ al Fna. Si je m’avisais, par désœuvrement, de feuilleter journaux et magazines au kiosque, pouvais-je y trouver pitance qui attestât sa destination à des hominiens ?  Dans le commerce des idées, s’échangeait-il autre chose qu’une monnaie de singes ?
Par exemple, il n’existait plus de conflit israélo-palestinien. Comme celle du Sofitel pour le comte Almaviva, c’était une affaire classée. Qui oserait encore comparer ses mœurs à celles d’un anthropoïde ?  Le viol des implantations se poursuivait en Terre sainte, avec la bénédiction des chancelleries civilisées, comme prescrit dans les textes sacrés depuis le prophète Josué.
Qui douterait encore de la Loi du Dieu de la Bible ? 
Mais à penser aux victimes de la bombe, mieux valait peut-être les sortilèges d’un magicien de la place. Comme ça, d’un coup, pfuit, évanoui le souvenir du grand cirque, ainsi que ceux de l’antique Empire, avec ses légions de sophistes et de rhéteurs, d’histrions et de gladiateurs.

Pas d’amalgames : il y a d’excellents chanteurs, acteurs et footballeurs !

Si c’était une fiction, nul n’y croirait. Trois millions d’années après la conquête par l’hominidé de la position verticale, pour la première fois dans l’histoire une tendance régressive se constatait chez les jeunes, aux colonnes vertébrales infléchies vers l’horizontale par les nouveaux dresseurs de la Grande Surface...

Que n’élèvent-ils vers nous leurs sens captifs de la bestialité ?

A quel autre effet ces rythmes binaires fouettés par les haut parleurs ?  Captive des pulsions primaires lui enjoignant de s’affranchir de tout code autoritaire, la foule subjuguée se trémousse en cadence. Qui oserait fabuler une monstrueuse énormité comme le show en préparation sous mes yeux ?  Qui accorderait crédit à l’existence même d’entités comme BHL et DSK, plus irréelles que les démons et les djinns des Mille et Une Nuits ?

Nous seuls, mon ange !

Les récits de Shéhérazade mettaient en jeu l’œil imaginal, cette zone intuitive du psychisme où s’opère la médiation des facultés révélatives et réflexives, selon la terminologie qu’il m’a bien fallu inventer. Car je ne me suis pas privée de créer quelques néologismes en usant de racines grecques et latines pour traduire les réalités nouvelles, quand tant de mots du vocabulaire sont devenus obsolètes.

Notre concours pour t’inspirer fut minime, il faut bien l’avouer.

Ainsi de pseudocosme, pour désigner le résultat d’un saccage méthodique de l’imaginal. De quoi d’autre que d’un univers absolument déréalisé relève-t-il, ce public battant des mains et reprenant en chœur l’hymne d’un ordinateur sur des sons électroniques, dans l’attente hypnotique d’un hélicoptère ?

Ils aiment y croire, davantage qu’à nous.

Ces ruines cérébrales sont le siège de l’idolosphère. Tout ce qui paraît l’effet d’un raisonnement logique y relève du sophisme : postulats faisant l’objet d’une croyance dogmatique écoulés sous emballage de lieux communs, dans une bouillie de clichés lyophilisés où surnagent les grumeaux d’anciennes idées ; bref, le tout-venant des éditoriaux du kiosque. A l’autre pôle, ce qui semble émaner de la zone du cerveau qui donna naissance aux inspirations magico-religieuses d’ordre irrationnel, s’avère un fatras de fantasmes dictés par des modes n’obéissant qu’à la rationalité marchande. Un chiasme s’est produit de la foi et de la raison, l’une et l’autre falsifiées et manipulées au point que leurs vestiges originels ne sont plus qu’en relation guerrière, dans l’abolition de cette ancienne médiation qu’était la vision poétique – sphère de l’œil imaginal – où sans plus aucune dialectique triomphe le show médiatique.

Nous ne saurions mieux dire.

Tout ce qui paraît vrai y est faux ; tout ce qui paraît faux y est vrai.
Prônes et icônes qui sacrifierez à ce culte, vous connaîtrez sons et lumières !
Paroles et images révélant ce fétichisme, vous serez ignorées par les projecteurs. Vingt millions de personnes agonisent de famine et de peste au Sahel et dans la Corne de l’Afrique : elles ne sont pas sur les écrans de la tour Panoptic. Mais que des insurgés, en Somalie comme au Mali, s’attaquent par les armes à leurs tortionnaires en refusant l’holocauste programmé : là, sur les chebabs, tombent les bombes dans une indifférence universelle puisqu’elles sont propulsées par les drones d’Israël ; ici, l’on coordonne une opération militaire avec le dictateur de Bamako, sans savoir encore quels porteurs d’uniformes nègres précéderont les canons français. Car le président de la République, M. Joseph Prudhomme, ne pactise qu’avec les chefs d’Etats promouvant droits de l’homme et démocratie...

N’oublions pas que ce personnage incarne l’héritage de M. Jourdain !

Mais alors, quoi d’autre qu’une démence collective peut-il expliquer que cette insurrection condamnée pour s’en prendre à un pouvoir despotique et corrompu, corresponde à ce qu’on applaudit l’an dernier dans le monde arabo-musulman ?  Tu vas rire : nous en sommes responsables !  Notre génération. Celle d’après 68. Nous avons favorisé la grande supercherie, qui prendrait son essor en mai 1981.

Transformer le monde, changer la vie !  Marx et Rimbaud. Deux percées fulgurantes hors les lois du marché. Deux inspirations pures venues des voix cachées de la Présence. Deux appels à ce que la langue arabe seule, unissant dans un même vocable vérité et réalité, désigne par haqiqa… Si les derniers mots d’Arthur, sur son lit de mort à Marseille, furent « Kerim Allah », celui qu’Engels nommait « le Maure » (et non le Juif) ne laisse aucune diatribe contre l’islam lors de son voyage en Alger l’année qui précéda sa mort, en 1982. A peine plus d’un siècle de vie à eux deux. Plus de réserves d’essence mentale qu’il n’en faut pour des millénaires... L’œil imaginal, en eux, fusionne Athènes et Jérusalem par la Phénicie. Les surréalistes en eurent l’intuition ; les situationnistes, quarante ans plus tard, n’en mirent sur le marché des idées qu’un simulacre destiné à faire écran. Depuis lors, le fond de la caverne de Platon piège d’autant mieux le regard des esclaves que leurs maîtres y font miroiter les reflets illusoires d’une lumière idéale qu’il ne faut dès lors pas plus rechercher que le monde réel.  Ce qu’Aragon montra dans son Théâtre/Roman

Je situe au milieu de ces années septante la césure ayant conduit l’idéologie dominante à user massivement de la phrase révolutionnaire. Souviens-toi de notre dernière rencontre, à la cafétéria d’une autre université que celle de Louvain. Quelques siècles après notre séparation, s’il est permis d’utiliser le siècle comme instrument de mesure pour diviser deux moitiés d’une décennie... Quelle béance entre deux ères, celle encore gorgée de sèves riches en promesses coulant de l’époque précédente, et celle du fruit pourri tombé d’un arbre malade. Entre les deux, nous n’avons pas été capables d’allumer l’œil imaginal, quand tout parlait déjà du pouvoir d’une imagination qui envahissait agences de pub et sociétés de com. Je revois cet auditoire de l’ULB où, en un soir, furent lancées sur le marché des idées Nouvelle Philosophie et social-démocratie libertaire...

Ceux-là ne seraient que des récupérateurs, comme l’avoua Guy Debord.

Ô  cri d’une enfant perdue dans la nuit que celui d’une prophétesse en colère !  Je ne t’ai plus jamais revu. Depuis lors je déambule par les rues dans ma djellaba de sang, qui exhale un parfum de blessure dont se rient les mouettes. Le genre de fredaines qu’on pouvait alors écrire, non sans courir le risque de trouver un lecteur. Le marché du désir propre au capitalisme dionysiaque postulerait un renversement des structures psychiques où le ça primerait sur le Surmoi.

Vivre sans temps morts, jouir sans entraves. Jamais société de classes n’afficha pareil cynisme pour faire de sa propre cupidité matérielle une morale universelle. Afin de supprimer toute limite à sa volonté de puissance, ne lui fallait-il pas faire de transgression loi ? 


Allèlukhia II
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