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Le Tabou du Mana

Quintessence du sens en l'avenir qui est


Ah ! ces lendemains qui chantent au-delà des tempêtes historiques ! Et voir le prochain millénaire du point de vue d’un ciel sans nuages toxiques ! En l’an 3014, quels cauchemars lointains que ceux de Kapitotal et de la tour Panoptic ! Par-dessus les abîmes apocalyptiques, à travers dix siècles courent des guirlandes à lampions métaphysiques ! Dans cette fête cosmique, danses et musiques se troublent de frissons rétrospectifs pour malheurs et terreurs d’une Mille et Deuxième Nuit satanique ! Un Reich promis à durer 1000 ans ! Cette manipulation de masse à propos d’un aède est restée classique pour caractériser l’ère convulsive. Qu’était l’aède, sinon celui qui sentait battre en lui le cœur des premiers hommes, et qui perpétuait leur dialogue inaugural avec les esprits ? L’étincelle divine, venue du fond des âges, illuminait le bouclier d’Achille ainsi qu’un miroir au centre duquel se reflétait encore la photographie d’Homère. Un tel symbole devait être expulsé du Panthéon, tant la vision du monde poétique est incompatible avec le regard du Moloch. Cette aptitude au voyage à travers siècles et continents n’est guère plus soupçonnable aux yeux de vos contemporains, que n’était imaginable par eux mille ans plus tôt la fée dite électricité. Pourtant, depuis Homère, tous les aèdes expérimentèrent cette navigation qui les ferait passer des enfers au ciel par la plus simple nef qui soit : celle de la lumière. Il s’en fallut de l’angélie constitutive de la matière, soupçonnée par vos ordinateurs et promptement baptisée « particule de Dieu », pour que le photon ne menaçât l’empire du Moloch. Photographie peut donc se dire de toute écriture, à ceci près que
fws est aussi bien ce qui éclaire le chemin que celui-ci. La preuve. Un soleil de l’an 3014 abreuve les paupières de Shéhérazade sur l’océan du Couchant, qui l’éclaire en Orient juste avant la première Croisade, non sans que son visage à Paris ne soit inondé par les rayons de votre temps. Quelle splendeur, cette voile rouge qui remonte le fleuve et se glisse en face d’une terrasse où ne perd aucun détail de la manœuvre une belle Damascène. Dame à Seine contre vents et marées depuis toujours, elle n’oublie ni le Nil ni l’Euphrate et plonge à leur source commune en haut d’une montagne berbère, dont les cimes s’aperçoivent depuis l’Atlantide et surplombent le dôme du Panthéon. C’est de là qu’elle voit le modèle symbolique de l’Occident prisonnier d’une alternative : chevalier du Saint-Sépulcre ou chef de bande pour tuer Dieu. La voix de l’aède proposa : ni l’un ni l’autre ; le Moloch imposa : l’un et l’autre.
Kapitotal devait donc propager, par la tour Panoptic : There is no alternative.


Shéhérazade ne peut rire ni pleurer. L’axiome du Moloch baptisé TINA se prévaut d’une logique irréfutable. Comment pourrait-il y avoir un ailleurs à l’enclos du marché, si celui-ci se définit comme abolition de toutes les frontières ? Qui blâmerait des obligations s’identifiant à la transgression ? Quelle dénonciation possible d’une tyrannie supprimant toute autorité ? Peut-on parler encore de contraintes, à propos des lois de Kapitotal, si elles sont imposées par les agents les plus libertaires de la tour Panoptic ? Celle-ci propose pour héros Superman et James Bond, preux de la noblesse financière ; comme furent saints patrons du clergé médiatique les Nouveaux Philosophes et Jean-Paul II, BHL réunissant l’action et la contemplation dans une seule personne. Ainsi peut-on d’une même voix se faire le champion des banques armant une guerre civile dans ce pays trop riche pour ses paysans qu’est l’Ukraine, et dénoncer comme rouge et brune une inquiétude suscitée par l’appétit de Goldman-Sachs pour la principale entreprise publique au Danemark. La société, vue comme ensemble de relations commerciales entre clients et vendeurs, laisse libre le marché de fixer la valeur des objets humains, qui s’établit à l’échelle mondiale autour du prix d’un Coca-Cola par jour : de quoi se plaignent donc les travailleurs d’Europe, arc-boutés sur des privilèges archaïques ? C’est ce dont Edouard de Rothschild peinait à instruire son personnel du quotidien Libération, comme en attestent les conflits d’un autre âge entre salariés et actionnaires dans cet organe des révolutions modernes. Le logo de la marque au losange guide pourtant toujours la manifestation vers le Panthéon. Shéhérazade voit un aveugle à barbe blanche en djellaba tâtonner avec sa canne entre les rangs serrés qui refusent le passage à cet intrus. Fait-il partie de la gauche moderne et progressiste ? Appartient-il au camp de la droite réactionnaire ? Son petit chien qui le guide est happé par la foule, passe de mains en mains, pour n’être bientôt plus qu’un cri finissant dans le gouffre du fleuve… Sans paraître égaré le vieillard élève la voix : « Allah est la lumière du ciel et de la terre ! ». Shéhérazade a un vertige. Elle vient de couler avec ce chien, plus bas que sept cieux sous toutes les terres et toutes les mers… À toi, conteuse orientale, de faire voler les ailes de l’Œil imaginal !


Une lumière musicale n’en finit pas d’emporter la conteuse orientale d’une rive à l’autre, dans un ciel rose où se précise à l’horizon quelque chose d’une tout autre ampleur que la montagne Sainte Geneviève. Un coup de vent froid la saisit par surprise : il faut tenir en laisse le soleil par l’un de ses rayons plus fermement que le chien de l’aveugle. Celui-ci poursuit sa litanie, titubant entre les bras de la foule hurlante. Il réussit à franchir la muraille humaine pour aller se pencher sur l’abîme où vient de s’éteindre le cri de son guide. Vertige d’un écroulement semblable à l’engloutissement de l’Atlantide pense-t-elle. Rothschild leader mondial de la Révolution ! Système d’images et de discours formant un gigantesque pseudocosme où les instances édictant le beau, le vrai, le juste ne sont plus qu’ectoplasmes des génies et sages d’autrefois. Comme ces boursouflures disposent des moyens techniques pour fabriquer l’opinion, toutes les plèbes errent en déshérence, pouvant d’autant moins croire à une falsification généralisée qu’en interdisent l’hypothèse les abois de faux guides entraînant vers leur perte ces foules aveuglées de mirages… Désormais l’Ancien régime, Versailles, la Collaboration se présentent sous le jour des Lumières, de la Commune et de la Résistance ! Quand sous les apparences de Lucky Luke sévit Billy the Kid et que l’OTAN se drape sous la bannière de l’ONU, c’est qu’Al Capone a pris le masque du Dalaï-Lama sinon du pape, et Bernard-Henri Lévy celui de BHL…

Si la culture du Moloch en est une de l’inversion, sa domination passe pour libération. Son nom sera de bon augure en se disant Cholom. Ce mot s’inscrit en lettres géantes sur la pièce pâtissière, ornée de fleurs-de-lys, couronnant le festin offert par Goldman Sachs à la Maison Blanche pour célébrer l’amitié entre la France et les Etats-Unis. Les présidents des deux pays, ses butlers d’honneur, ne sont pas appariés par couples. Fait défaut la Première dame de France, coupable d’avoir déploré : « Le monde politique est un monde où la trahison est payante ». Qu’est-ce à dire ? À sa place, l’adjointe au Secrétaire d’Etat qui vient de gagner son bâton de maréchale en affirmant avec une mâle autorité : « Que l’Union européenne aille se faire foutre ! » Or, qui fut le prophète et l’apôtre des Etats-Unis d’Europe avant le XXe siècle, sinon Victor Hugo ? C’est son crâne, prélevé dans le cercueil du Panthéon, que brandit ainsi qu’une coupe à ras bord pleine le Moloch.


Populations occidentales,
écoutez une conteuse orientale :

« Prenez les usuriers en masse, de leur somme se dégage un total, Shylock. Additionnez l’usure, vous aurez Shylock. La métaphore du peuple confirme l’intuition du poëte ; et, pendant que Shakespeare fait Shylock, elle crée le happe-chair. Shylock est la juiverie, il est aussi le judaïsme. »

Victor Hugo


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