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Le Tabou du Mana

Quintessence du sens en l'avenir qui est


Shéhérazade voit la ville de tous ses yeux passés, présents, futurs.
Le grand Paris bouge autour d’elle telle une pieuvre lâchant son encre noire, en attendant de cracher un sang rouge comme celui des Communards. Et s’il se concevait un au-delà de l’horizon ? La symbolique pyramidale au fil des siècles, se souvient-elle, ne se justifia jamais que par l’ouverture de sa pointe aux lumières de la Sphère. Comment son sommet n’eût-il pas été inondé par les rayons d’un soleil métaphysique diminuant son éclairage d’étage en étage, toujours au nom de l’intérêt général ? Immuable était la nécessité régnant sur les hauteurs, quand dans les bas fonds ne grouillaient que des contingences particulières. Les idéalités juives, platoniciennes et chrétiennes légitimèrent ainsi pendant deux millénaires l’axe vertical d’une civilisation. Qu’en est-il aujourd’hui ? Toute cette force de travail corvéable sans merci, capital variable taillable par paquets de mille en fonction des graphiques, ploie sous le fouet de bilans comptables dont les chiffres décident de leurs vies. Servir les intérêts du patronat, c’est servir ceux du salariat : ce truisme est l’axiome du fascisme comme celui de la social-démocratie libérale. Un mécanisme de totalisation du marché définit ce système concentrationnaire où chaque individu se croit le propriétaire de sa cellule identitaire, quand il est l’atome d’un cancer faisant honte à la Sphère. Stupeur, horreur, douleur ! Le scalpel de son regard doit frapper au cœur de la tumeur. En fin de leur Moyen-Âge, des nuées d’orage assombrirent-elles ce qui tenait lieu de ciel ? Un rayonnement nouveau surgit, faisant de l’homme renaissant le tronc sacré de l’axus mundi. Cet humanisme fut assumé par le projet des Lumières, puis par une pensée des contradictions qui inspira la révolution soviétique. Alors la pyramide se mit à vaciller. De longue date une entité satanique hantait ses entrailles à l’opposé des cimes lumineuses. Il fallut assimiler le communisme à cette maléfiction. Quitte à déchaîner les démons du fascisme et du nazisme. Or ceux-ci ne furent terrassés que grâce à l’étoile rouge. Honte à ce qui, du point de vue de la Sphère, se met alors en branle ! Toutes les puissances de la pyramide matérielle décrètent un renversement de la pyramide idéelle. Ni Marx ni Jésus ni Socrate ! L’aristocratie nouvelle a le visage des dividendes et la caste sacerdotale dispense un catéchisme dont les dogmes ne tirent plus leur lumière que des cieux de la finance. Mais qu’est d’autre le capital qu’un patrimoine de l’humanité concentrant tout son travail passé, lequel s’envole vers des îles paradisiaques ayant pour envers l’enfer du plus grand nombre ?


Structure binaire que celle de la cybernétique ! Paradis & enfer, élus & damnés, winners & losers, optimisation fiscale & péjoration sociale : à ces antagonismes sans médiation, quelle matrice idéologique ?
Shéhérazade s’envole en des songeries qui lui donnent des ailes. Jamais au sommet de la pyramide – sinon durant le nazisme – ne se vit classe dominante plus vulgairement distinguée. Quelles que fussent les aléas historiques, l’esprit logeait aux cimes et la bestialité dans les bas-fonds… D’où venait cette inversion des idéaux propulsant la crapule au sommet, dans une prolifération volontaire de maux, d’injustices et de laideurs ? Que signifiait la destruction programmée des plus anciennes traces de la culture humaine en Mésopotamie, en Egypte et en Syrie, par des guerres menées au nom de la démocratie dont se réclamait le Moloch ? Les pyramides sur le Nil et l’Euphrate comme les temples phéniciens ne furent pas seulement tumulus érigés sur des alluvions fluviaux ou marins. Ces autels de briques, et leurs immémoriaux signes graphiques, pillés pour enrichir des collections privées à New York et Jérusalem, offraient à déchiffrer les sources mêmes d’une histoire dont hérite l’Atlantide… La légitimité d’une civilisation se donnait à lire dans une geste héroïque ayant racines aux enfers et sens en des légendes astrales. Ni la magie des mythes ni les gouvernements n’étaient cybernétiques. Osiris et Isis non moins qu’Ishtar et Gilgamesh, Eurydice et Orphée traversent les mondes inférieurs afin de quérir une rédemption dont s’inspireront Dante et les plus hautes littératures occidentales. Pour l’Œil imaginal qui embrasse la Sphère, il n’est pas de scission fatale entre les précipices et les cimes de l’Atlantide où loge Béatrice dans la Divine Comédie, se dit Shéhérazade. Quelle est donc l’idéologie qui légitime cette fracture anthropologique entre propriétaires du globe et masses déshéritées ? Pouvait-elle opérer sans fondements théologiques, remontant à une explication du monde qui sacralise la rupture entre élus et damnés ? Sans qu’un dieu suprême ne confie à sa caste mission de le représenter sur Terre, avec fonction de guide ayant droit de manœuvrer ses créatures comme le créateur en dispose lui-même ? Un tel rapport existait dans l’histoire des idéologies : celui qui relie le rabbin de la tradition hébraïque au Golem.


Shéhérazade est prise d’un fou rire, même si sa vision n’incite guère à la gaieté. Mais si l’on voyait à quoi ressemble ce patelin en 3014 !... Elle a pris soin de ne fournir aucune indication d’heure et de lieu, qui permettrait aux caméras satellitaires de la situer trop facilement le long du fleuve. Jamais elle n’avait, il y a mille ans, capturé les oreilles et les yeux d’un roi comme elle attire sans doute, en l’année 2014, les grandes oreilles et l’œil cyclopéen d’un tyran sans visage, par ce récit venant du prochain millénaire ! Nul n’ignore quelle emprise mentale se réalise par une infinie multiplication de la police électronique. Les victimes d’un tel monarque ne sont plus une vierge au matin, mais se comptent en millions de sacrifices quotidiens, à considérer les effets des informations traitées par les robots du shadow banking sur le marché globalisé. Maharadjah, calife, sultan, tsar et César est tout à la fois l’émir électronique. Quant à cheikhs et vizirs de chair et d’os, ils n’attendent plus la nuit pour se déguiser en brigands comme le faisait le calife Haroun al Rachid. C’est au grand jour que se jouent les orgies du crime organisé, par des réseaux de fibre optique et serveurs de Big-Data. Mais la conteuse orientale va changer de méthode, pour éprouver les moyens du Moloch. Il ne faut pas oublier qu’une telle aventure, qui se veut angélie pour cette époque, est aussi message à la Sphère ! Voici donc Shéhérazade arpentant la splendeur nacrée du fleuve sur le Quai de la Légende des Siècles, pour déboucher au coin de la place des Illusions perdues, juste en face du Pont du Monde réel. De l’autre côté commence le Boulevard de la Divine comédie humaine, en contrebas de la Montagne magique surplombée par le Panthéon...

Vers un dôme copiant celui de la Basilique Saint-Pierre à Rome afflue la population de Paris. Foule terrorisée d’insécurité, déboussolée dans son identité, matraquée de slogans identitaires et sécuritaires par les escrocs du verbe aux ordres de ceux qui les rackettent, les rançonnent, les vampirisent tant et plus ! Privée de perspectives, elle n’a d’exutoire que dans un cri de colère empreint de nostalgie pour les temps jadis : « L’avenir c’était mieux avant ! », clament ses banderoles. Mais un autre peuple crache une autre rage : « Du passé faisons table rase ! ». Ainsi deux rangs de manifestants se font face, pareils aux ennemis qui se toisent avec haine avant de se ruer dans la bataille. Les uns comme les autres aveugles au Moloch assoiffé de leur chair et de leur sang…


Populations occidentales,
écoutez une conteuse orientale :

« Maudit soit Canaan le fils de Cham ! Qu’il soit l’esclave des esclaves de son frère !
Béni soit l’Eternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave ! Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu’il habite les tentes de Sem, et que Canaan soit leur esclave ! »

GENESE


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