Sphère  >  Le Tabou du Mana  <   1  2  3   4   5  6  7  8  9  10  11

Le Tabou du Mana

Quintessence du sens en l'avenir qui est


C’est bien sûr un flash d’information lapidaire à destination de la Sphère.
Shéhérazade n’a nulle intention d’en faire un roman. Tout ou plus capte-t-elle un résumé de scène aperçue, qui servira pour son théâtre de l’Atlantide. Un camp se réclamant du futur clamait des slogans favorables à toutes les licences morales, puisqu’il s’était émancipé des obscurantismes religieux ; l’autre, enraciné dans les traditions archaïques, agonissait d’injures ces avatars d’une modernité perverse au nom des grands principes ayant de tout temps structuré la pyramide. Ces branches d’un même peuple n’avaient plus de tronc commun. Les unes prétendaient seules souffrir d’un mal aux racines quand les autres exigeaient le monopole des cris pour le partage des fruits. Tous étaient dans le même cul-de-sac. Pris au piège d’une propagande qui leur avait fait tourner le dos à la seule voie historique viable, contre quoi pouvaient-ils diriger une rage impuissante que contre eux-mêmes ? La foule n’avait donc de cesse de se déchirer, travailleurs contre chômeurs, indigènes contre immigrés, bondieusards contre laïcards. Il n’était pas jusqu’au langage qui ne souffrît cruellement d’une telle guerre civile. Des mots privés de sens comme « gestation pour autrui », « mariage homosexuel », « procréation médicalement assistée » formèrent un sabir nouveau, promptement répandu par l’idiome des initiales, novlangue jugée d’autant plus légitime par tous que ses premiers locuteurs s’arrogeaient en exclusivité l’héritage des anciens combats émancipateurs ; qui n’était pas contesté par leurs adversaires, drapés sous la bannière en loques d’un conservatisme héroïque, dont ils préféraient que nul ne signale à quel point ils l’avaient usurpé. De sorte que les deux mascarades faisaient à tout prendre bon ménage, dans cette querelle qui les accréditait l’une par l’autre, aucun des deux camps ne sachant plus au juste lequel avait lancé la campagne hystérique à l’origine d’une marche commune vers le Panthéon. La veille encore impensable, ce spasme collectif agité de secousses internes ainsi qu’un grand corps épileptique, avançait par saccades en direction du tombeau des grands hommes. Si ce branle-bas semblait avoir été lancé par Le Figaro, Libération ne demeura pas en reste, et comment Le Monde se fût-il abstenu de s’engager dans un tel « mouvement citoyen » ? Tous avaient monté en épingle une impardonnable forfaiture de Victor Hugo. Nul n’était supposé demeurer étranger à ce « débat de société ». Car il en allait de l’un des plus hauts symboles nationaux. Ne fallait-il en déloger celui pour qui fut transformé ce temple catholique en lieu de culte chamanique ?


Cham résonne en Shéhérazade. Fils de Noé maudit par Yahvé, pour une faute incompréhensible, n’est-il pas l’ancêtre des nations d’Egypte et de Mésopotamie comme de celles peuplant Cham, nom de la Phénicie dans les langues sémitiques ? N’a-t-il pour descendance l’Afrique ainsi que les barbaries orientales parmi lesquelles ces Scythes ayant donné les Slaves ? C’est si bon de voyager d’âge en âge, par les chemins de la lumière ! Pas besoin d’être une conteuse orientale pour aimer ça, même si l’éclairage en est cruel pour une capitale sous occupation de l’an 2014. Les calmes eaux de Paris font des vagues de tempête. Il est certain qu’alors le Reich atlantique fut promis à durer mille ans. Le texte de la Genèse n’autorise aucun doute : à Sem, fils béni, revient l’honneur d’accueillir Yahvé dans ses tentes ; à Japhet, patriarche des nations du Nord, est accordé le droit de conquérir le monde ; à Cham est dévolu pour seul héritage une fonction d’esclave. Shéhérazade appelle à elle toutes les forces de la raison, dont le secours n’est pas négligeable dans un tel périple à travers les siècles. Yahvé n’impose-t-il pas son idéologie dans la mesure même où triomphe Moloch, auquel un culte était rendu sous les rois de Juda ? Dominer sans scrupule des races inférieures : pareil scénario n’a-t-il pas guidé tous les peuples élus, qu’ils fussent issus de Sem ou de Japhet ? Les colonisations ne furent-elles pas toujours menées par un Herrnvolk ? Cette vision du monde n’est-elle pas la matrice de l’ère cybernétique ? La scène de l’histoire se déroule à une allure folle. Tumeur cancéreuse pour la tête, lèpre et gangrène pour le corps et les membres. Elle voit la foule parisienne à travers un brouillard, comme provoqué par la fumée des explosions qui démembrent l’humanité n’importe où dans le triangle démoniaque entre la Syrie l’Egypte et l’Irak. Idole universelle justifiant les crimes de ses adeptes par élection divine : coup de force des Césars ! Ainsi l’impérialisme a-t-il pour archétype la quête sanguinaire de Canaan par les tribus de Josué menant massacres et pillages en Terre promise grâce à la bénédiction de Yahvé, lequel est l’autre face du Moloch. Nul autre n’inspire Goldman Sachs clamant que son travail est celui de Dieu. Nul autre n’est à l’origine de la campagne contre un aède jugé coupable d’avoir écrit des mots impardonnables relatifs au Marchand de Venise


L’inversion du sens des signes est le langage du Moloch. Quand les seules finalités d’une société résident en l’accumulation pécuniaire, quel autre sort que celui d’instrument pour l’engeance prolétaire ? Dans un monde renversé qui a les moyens pour fins, celles-ci doivent se déguiser pour obtenir le consentement de la force de travail, source du capital. Il en résulte un usage de la Parole au service de la Valeur. Muss es sein ? Es muss sein ! Also sprache der Moloch

Telle est la vision globale qu’inspire à Shéhérazade une scène où le peuple obéit à des injonctions stéréophoniques. « Foule esclave, debout ! debout ! Le monde va changer de bases, nous ne sommes rien soyons tout ! » Ces mots de l’Internationale sont crachés par les haut-parleurs qui firent élire le dernier président de la République. En même temps crépite un autre discours : « Acceptez cette nécessité ! Toute résistance est inutile et conduirait l’Occupant à des représailles pires encore que la foudre ! ». Quel rapport avec cette manifestation conduisant une populace en colère vers le tombeau de Victor Hugo ?...

Shéhérazade fixe le dôme du Panthéon. Les gens, les lieux, les choses qu’on n’a pas vus depuis quelques siècles sont surprenants, vous font voir différemment. La conteuse orientale porte un regard d’étrangère sur cet édifice entre ciel et terre, qui fut le point culminant de Paris. En un clin d’œil – un quart de seconde – elle franchit un quart de millénaire. Il y a deux cent cinquante ans. Le 6 septembre 1764. La première pierre. Une même foule agglutinée. Sans haut-parleurs. Pas d’Internationale ni de discours pétainiste. Mascarade à l’ancienne. Un modèle de façade en trompe-l’œil sur une immense toile peinte est dressé pour cette cérémonie. La future basilique est dédiée à Sainte Geneviève, patronne de la ville depuis le temps de Clovis. Comment le peuple d’aujourd’hui ne conserverait-il pas ce passé dans son obscure mémoire ? À côté de son carrosse, Louis XV est suivi par le dauphin, âgé de dix ans, qui accédera au trône dans dix ans. Autre clin d’œil. Un quart de siècle plus tard, Louis XVI, lors de la prise de la Bastille, peut-il imaginer le regard de Shéhérazade en 2014 ? Sa tête fut coupée par cette foule qui défile, ignorant l’unité de ce qui la constitue dans le rêve temporel et irréversible de l’histoire, comme dans une mémoire immuable et intemporelle. Faute que le prolétariat ne prît conscience de lui-même, ses rêves et sa mémoire appartiendraient au Moloch…


Populations occidentales,
écoutez une conteuse orientale :

« Je fais le travail de Dieu. »

Lloyd Blankfein,
P.D.G. de Goldman Sachs


Lire la suite dans la scène suivante.


Le Tabou du Mana
est également disponible au format PDF (télécharger 50 pages = 762 Ko).

Acrobat Reader est nécessaire pour consulter un document PDF, si besoin, ce logiciel est disponible ici    cliquez ici


Scène précédente | Le Tabou du Mana | Scène suivante
       SPHÉRISME  |  RETOUR