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Septième invitation à l'Axiome de la Sphère

Le Mpodol du Mpodol

Toi qui te prénommes Achille et dont le guide connut le sort d’Hector, tu fus banni de ton pays pour avoir évoqué le problème Kamerunais

Quant au scribe né au Congo belge m’ayant invité dans son Axiome de la Sphère, il n’y finit pas de voir en Cham un ancêtre de l’humanité. Ce qui pulvérise les racines d’une légende judéo-chrétienne à laquelle je suis associé comme cinquième roi d’Uruk après le déluge. Héritier des figures bibliques de Nemrod et de Chanaan – ces descendants de Cham, le fils maudit de Noé – je suis frappé par la malédiction divine ayant voué l’Afrique aux géhennes des colonisations occidentales…

C’est un frère lointain que je salue donc en Achille Mbembe, puisque la civilisation sumérienne comme sa langue sont originaires d’Egypte. Séverine Kodjo-Grandvaux écrit à ton propos : « L’un de ses oncles, fils d’une maquisarde analphabète qui savait lire le monde invisible, a été tué, le 13 septembre 1958, aux côtés du leader nationaliste Ruben Um Nyobè, dont le cadavre fut traîné, de village en village, par les forces armées françaises. Acte de profanation suprême pour le peuple Bassa. Acte de terreur, aussi, à une époque où l’armée française avait pour habitude de planter, sur des piques bordant les routes, les têtes des indépendantistes tués ». C’est à toi qu’il reviendrait d’exhumer les écrits de ce héros surnommé Mpodol (porte-parole en langue bassa) : leur censure dès publication serait suivie d’une damnation confirmant celle portée contre Cham depuis des temps immémoriaux…

Ce qu’a de fabuleusement singulier cette histoire, c’est qu’elle réunit dans un seul récit les deux conquêtes coloniales par carnage et pillage fondatrices de l’Occident : Troie (ton prénom et l’outrage au cadavre de Mpodol, comparable à celui d’Hector dans l’Iliade) et Chanaan...

Point de vue sans égal pour éclairer l’âge d’un « déni de l’humanité commune », « où l’état de guerre se répand au sein de l’état civil » ; celui « de la combustion du monde », obligeant à « recréer du vivant à partir de l’invivable » sans perdre la foi en une « humanité nouvelle ».

Françoise Wuilmart, traductrice en français du Principe Espérance et sœur de mon scribe, est heureuse d’apprendre que tu te réclames de la pensée messianique d’Ernst Bloch. Axiome de la Sphère voyage en effet sur le chemin du carrefour où se relient foi, raison et imagination. Que cette aventure ait conduit vers le mont Ararat l’ancien roi d’Uruk, échoué à Bruxelles parmi les migrants venus d’Irak, allait assez de soi. La Genèse de référence, pour l’Occident, n’y fait-elle pas échouer une arche de plusieurs millénaires antérieure dans nos mythes, où c’est la déesse Ishtar qui accorde à mon ancêtre de survivre dans une barque emportant à son bord la semence de tous les êtres vivants ?...

 Jugement de la mort en présence d'Osiris

Barque rappelant celle d’Osiris, associé dans les hiéroglyphes au nom de notre divinité céleste Anu, laquelle n’exerçait aucun pouvoir. Si le nombre de mes années s’élève à la moitié d’une myriade, je rappelle que le monothéisme lui-même n’a guère plus que la moitié de cet âge. Contrairement au récit biblique, je ne crains pas d’appeler dialectique la relation m’unissant à Ishtar dans une épopée qui doit sa substance aux liens médiateurs tissés entre ciel et terre. Ainsi peut s’y poser une question ne manquant pas d’actualité : la justice doit-elle être divine ou humaine ? Si, dans l’Odyssée, celui dont tu portes le prénom parle avec Ulysse au royaume des morts, c’est qu’Homère s’est inspiré de ma propre rencontre aux enfers avec Enkidu. Ce qui m’a fait traverser 50 siècles n’est donc pas tant la gloire d’exploits héroïques temporels, qu’une voix intérieure chargée de tourments relatifs à la vie éternelle, mais aussi à l’amour et à la fraternité. Sans réponse absolue !...

Toute classe dominante entretient une caste sacerdotale usant des mots et images nécessaires à la perpétuation de son règne. Ce que j’affirme contient un aveu : la confiscation de l’humanité, comme souverain, j’y ai participé. J’incarnais ce Surhomme vanté par la modernité. Mais je ne mériterais pas une telle postérité, si je n’avais été qu’un monarque reflet de son bouffon, comme il en est tant d’exemples contemporains. C’est dans la nuit des temps que tout se joue. Comme le prouve ton œuvre de penseur, ce sont les morts qui t’obligent à tenir ton rang de vivant, conscient que tout être est élu : qui donc peut-il être damné ?...

Tel est pourtant le sort de l’Afrique entière. Seul un regard extérieur à la Pyramide autorise à voir le bouleversement qui s’est produit dans sa caste sacerdotale, depuis qu’y règne la logique du chaos. Le désordre ne favorise-t-il pas les profits, selon les lois de la destruction créatrice en vigueur ? Voici quelques décennies, quand prévalaient les principes d’un ordre relatif et d’un droit international, ces tenants d’un pouvoir spirituel qu’étaient les intellectuels exerçaient une fonction salutaire en introduisant des ferments d’agitation qui secouaient l’ordre établi. Désormais, le système ne fonctionne plus que par transgression…

C’est pourquoi le pouvoir temporel doit toujours surenchérir dans les mystifications de son industrie culturelle. Celle-ci peut se comparer à un artichaut dont on fait commerce des feuilles multicolores ayant un avant-goût du cœur, que l’on a soin de ne pas mettre sur le marché. À grands renforts publicitaires est vanté le piquant de chaque unité vidée de la substance qui, reliée au tout, lui donnait sens. Mille vinaigrettes artificielles assaisonnent ces leurres vendus pour subversifs, et de la grimace du client se tire encore plus-value. La question de l’éternité, contenue dans mon épopée, ne se posera-t-elle pas de manière inédite en raison de tous les additifs déjà connus comme forever chemicals ? Et l’Afrique, stock de matières premières et de main d’œuvre gratuites aussi bien que juteuses parts de marché pour l’écoulement des poisons en surplus, est le réceptacle de cette intoxication programmée…

 Achille Mbembe

Mais le continent des origines détient le secret du cœur de l’artichaut ! C’est chez vous, cher Achille Mbembe, que s’ouvre un cycle de l’art et de la pensée clôturant les désacralisations dénoncées par Pasolini. Telle une spirale revenant vers son axe, dont l’avait écartée le temps des profanations, revient l’urgence d’une sacralité nouvelle pour l’acte d’écrire et de créer. Ta voix s’entend comme celle du porte-parole de ton vieux guide (un Mpodol du Mpodol), qui assume déjà la mission d’exprimer ce qu’Aragon nommait « un monde habité par le chant ». Cette intuition d’Axiome de la Sphère était celle de Mamiwata, voici plus d’un quart de siècle. Chants de la sirène du fleuve Congo dédiés à la mémoire de Patrice Lumumba, j’en suis aujourd’hui l’un des rares lecteurs, tant cette seule œuvre littéraire consacrée aux rapports entre la Belgique et sa colonie demeure introuvable. Elle ne fut sauvée des eaux de l’oubli, mon cher Achille, que par Hector Bianciotti

Ne suis-je pas le Mpodol de cet auteur invisible, autant qu’il fut le mien tout au long de son dernier ouvrage ? Quel crime ai-je commis ? De quoi suis-je coupable ? Quel rêve ai-je trahi ? La pensée naît d’un obscur soupçon contre soi-même, avant toute accusation des autres. Ô conscience malheureuse ! Grâce à elle, je passe à table face à ma belle âme, dans une relation Je-Tu n’attendant pour solution de leur conflit que l’illumination du Il. Ou la présence de l’absence, à savoir encore la voix des morts…

Pardonne-moi, cher Achille, je venais de m’introduire dans l’esprit de l’auteur d’Axiome de la Sphère qui n’est pas celui de Mamiwata, où il n’est que le personnage effectuant son voyage de retour au pays natal. Comme êtres fictifs opposés au factice nous avons, lui et moi, de ces familiarités dont il ne me tient pas rigueur, tant fusionnent ses pensées avec celles de l’acteur que je suis pour lui, comme de son auteur. Oui, j’avoue que durant plus d’une décennie (les années 70, et le début des 80, jusqu’à ma rencontre avec Celle qui m’autorise à survivre), j’ai ployé sous une culpabilité dont le fardeau me fit endosser la figure d’Atlas. Nul mieux que Raoul n’a su décrire cette situation.

Vaneigem à propos de Mamiwata.

Gilgamesh – mars 2020

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