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 Méditation de Lénine sur la réponse de Poutine

 Drapeaux rouge et russe

L’humanité dispose d’un fabuleux trésor au donjon de son château. Mais elle en ignore l’existence, recluse au fond de sombres oubliettes. Image qui me saute aux yeux dans ce mausolée, sous les murailles du Kremlin. Tout un siècle à faire semblant d’être mort. J’ai vu cette chaîne de valeur globale qu’est la planète s’engouffrer dans un immense alambic, où l’on a voulu mêler les tripes de la Russie pour produire ce distillat qui serait l’essence du monde : l’argent. Semence du Diable – lequel n’existe pas plus que Dieu selon la théologie marxiste. A ceci près que jamais société ne fut plus évangéliste que le régime des soviets. J’entends sonner les cloches à la basilique du Saint-Sauveur ainsi qu’à la clôture des marchés de Wall Street. La moindre panique boursière calmée par Washington, Bruxelles et Kiev, grâce au fait que leurs actifs prennent la plus juteuse direction possible en temps de crise : missiles et chars. Ont-ils seulement lu mon Impérialisme, stade suprême du capitalisme, ceux qui défilèrent pendant près d’un siècle travestis en mes héritiers, devant cet édicule où j’étais déguisé en cadavre ? Ce jeu macabre devait bien finir par s’arrêter quand tomberait le rideau sur cette pièce de théâtre, mais je n’imaginais pas une scène finale aussi pitoyable. Applaudie par le monde entier comme le clou d’un spectacle ayant rapporté tant de blé. Qui dit clou dit marteau, qui dit blé dit faucille. Quiconque hormis les morts a-t-il pleuré la disparition du drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau sur la vieille forteresse des tsars, la nuit du 25 au 26 décembre 1991 ?

 Eltsine et Clinton

Six mois plus tôt – 12 juin – l’ignoble clébard dressé par la CIA, pour divertir les Clinton, à mimer sur ses pattes arrières la danse de l’ours, faisait retentir au Kremlin l’opéra de Glinka Une vie pour le tsar. Le rideau était déjà tombé. Cette comédie burlesque avait requis le concours des meilleurs gagmen de Hollywood. Trois mois plus tôt encore – 17 mars – leur scénario ne prévoyait-il pas d’ajouter au référendum sur le maintien de l’URSS (qui recueillerait la majorité des suffrages) une question portant sur l’élection d’un président de la République de Russie au suffrage universel ? Il suffisait au caniche dipsomane de produire ses cabotinages qui ravissaient les foules pour s’emparer de l’os convoité, ce qui disloquerait le squelette institutionnel structurant l’Union soviétique. Du travail d’experts. Aussitôt le toutou se transformait en molosse pour promulguer un oukase interdisant toute activité politique sur les lieux de travail, donc en chassant le Parti communiste. Bureaux fermés, archives pillées, affiches lacérées. S’y substitueraient de plus minables imageries.

Je n’en ai plus fermé les yeux, me reprochant de n’avoir pas proposé aux écoliers soviétiques d’apprendre par cœur les pages liminaires du Capital relatives au fétichisme de la marchandise. La République, les Evangiles et le Capital devraient être les trois yeux de l’humanité. Marx, le Christ et Socrate éclaireraient l’aveuglement propagé par tout ce qui se réclame officiellement de la République, des Evangiles et du Capital. En Russie non moins qu’ailleurs. Il m’arrive de sourire dans ma barbiche en voyant le ridicule de prêcher la bonne parole un siècle après ma mort. Je dédie ce sermon à ceux qui l’entendront dans cent ans, passé l’hiver irradié qui suivra l’explosion du château, quand l’humanité se réveillera du fond des ruines et s’avisera du lumineux trésor oublié dans le donjon. Peut-être se souviendra-t-elle de la faucille et du marteau d’or sur fond de sang : sa réalité, niée au profit de ce qui s’avèrerait le svastika du marché. Car si le patriarche de Moscou présidait aux cérémonies de restauration du tsarisme, c’est une tout autre orthodoxie qui depuis un tiers de siècle s’est imposée au Kremlin : monétaire et budgétaire. Je revois cette scène, à l’automne 1989. Non loin d’ici, la Staraïa plochad noire de monde. Une limousine glisse vers le QG du Comité central où son éminent passager, le ministre de l’Energie, est attendu par Gorbatchev. Ce bureaucrate était déjà en poste lors de la catastrophe de Tchernobyl. Va-t-il adopter profil bas ? Mon portrait voisine celui de Marx en surplomb d’une longue table dans le bureau du Secrétaire général. Je fronce les sourcils en écoutant la proposition du visiteur : transformer le ministère en société par actions pour motiver les dirigeants. Chacun recevrait un pourcentage du capital. Gorbatchev opine. Son ministre devient le PDG de l’une des plus riches firmes planétaires. Le quart de la production mondiale de gaz, près d’un demi-million de salariés. Ministre nommé milliardaire. Dans les temps qui suivraient, s’abattraient des nuées de conseillers américains pour hâter un processus donnant son véritable sens au bris d’un mur à Berlin. Le cabot dressé pour la danse de l’ours interdirait tout retour en arrière. Tous les apparatchiks deviennent businessmen sans autre cap que Wall Street. Règnerait sur la planète une oligarchie financière complice du crime organisé. Je me suis alors élancé de ce cercueil pour filer en troïka par les steppes enneigées, parcourant des forêts de bouleaux, traversant les fleuves en patins à glace ; je me suis envolé en cheval ailé de légende au-dessus des villes à coupoles dorées. Bref, je me suis amusé comme un fou par les espaces infinis des campagnes aussi bien qu’en survolant des villes où j’ai semé l’émoi dans mon équipage aux clochettes chantantes.

Cette escapade chamanique m’a fait rencontrer l’Esprit dont Hegel avait décrit le vol plané séculaire qu’il identifiait à l’histoire. Ainsi j’ai mesuré quelle ineptie furent matérialisme et socialisme prétendu scientifique. Il fallait une telle vision globale – élévation vers les abîmes, chute au fond des cimes – pour saisir ce que fut notre expérience historique. Epique, tragique et par maint aspect comique. On me croit rangé dans cette boîte ainsi qu’une pièce morte sur l’échiquier sphérique du globe. Mais l’art de la dialectique fit de moi toutes les pièces, de sorte qu’il n’y aura jamais de cheikh mat (roi mort en arabe). Le russe ne dit-il pas chakhmat ? Une telle équipée dans les airs de mon cavalier volant m’a permis de capter l’écho d’une rumeur colportée de village en village par les vents depuis la Baltique, après le sabotage des gazoducs par un gang ayant jadis porté le toutou dressé en ours à tutu au pouvoir. Rumeur d’une étrange lojka, cette hibernation rituelle de plusieurs familles couchées autour du poêle durant de longs mois. Cet attentat criminel d’Oncle Sam contre l’Europe et la Russie, produisit une réaction physico-mystique dont nul n’a parlé. Du golfe de Finlande au Kamtchatka, des millions de gens se sont terrés sous la neige et ont vu pousser sur eux d’épaisses fourrures leur donnant l’apparence du plantigrade symbolisant la Russie. C’est l’arme secrète en réserve pour franchir un éventuel hiver nucléaire. Car l’Occident n’a pas encore voulu se demander qui étaient ces groupes humains des premiers âges ayant dans leurs migrations choisi les ingrates voies septentrionales plutôt vers l’Est que vers l’Ouest. Pourquoi bifurquaient-ils des chemins guidés par la course du soleil, pour gagner ces espaces infinis de la nuit peuplés de songes millénaires, dans le silence glacial du vent colporteur de fables ? Qui furent-ils pour s’être totémisés sous la figure de l’ours ? Un caniche carburant à la vodka crut-il pouvoir impunément ridiculiser son peuple en parodiant le plus redoutable mammifère nordique ? Celui-ci ne doit jamais être réveillé en sursaut. Les frayeurs devant Cosaques et Soviétiques ayant suivi les armées de Napoléon puis d’Hitler ne sont rien, comparées à ce qu’il adviendrait si des millions d’ours en armes se mettaient à déferler sur les greniers à victuailles d’une Europe frigorifiée.

Moscou-la-Rougeoyante couve une braise presque éteinte sous la cendre. Je vois la place Rouge pavoisée de banderoles aux couleurs d’aube et de crépuscule. J’entends l’hymne soviétique se briser contre les murailles et se disperser dans le vent pour se rassembler au sommet de la forteresse et s’éparpiller dans les nuages en direction de l’avenir. Nul doute qu’il vit pour toujours en elle, ce membre fantôme de l’humanité qu’est l’URSS.

Dans Soviet s’entend le mot Sviet, écrit en notre langue Svet, qui signifie à la fois lumière et monde. Tous les Russes ont ce jeu de sens et de sons à l’oreille. Il fallait littéralement s’amputer de cette oreille pour appeler Wagner une armée de mercenaires. Notre oreille musicale aussi revivra ! Le soleil brandit son drapeau rouge et fait s’évanouir les trois couleurs flottant sur les murs du Kremlin. Jamais je n’ai goûté comme aujourd’hui ces feux d’or dont s’illuminent les dômes ayant été Jérusalem Rome et la Mecque pour une moitié de l’humanité. Croit-on l’histoire terminée ? Jeux et séries télévisées de réalité augmentée ne pouvaient anticiper la métamorphose d’une momie lançant ce message depuis son sarcophage. Un cadavre embaumé dont on a vidé cervelle et viscères n’en conserve pas moins de feu dans les entrailles et d’étincelles dans le crâne, pourvu que reste intacte une partie du corps de nos jours invalide chez la plupart des vivants : cet axe du monde reliant terre et ciel qu’est notre colonne vertébrale, du sacrum à l’atlas. A l’heure où la Grande Surface répand son idéologie d’horizontalité circulaire dépourvue d’autres horizons que ceux du marché, quand la symbolique de l’arbre est remplacée par celle du rhizome, j’ai plaisir à bondir en toute verticalité telluricosmique.

Des milliers de bougies écarlates illuminent les façades et leurs flammes font danser la foule des spectres sous une lune aussi rouge que le soleil et l’étoile à cinq branches au sommet des clochers multicolores. Gardiens de la mémoire, ces spectres enregistrent mieux que toutes les prothèses technologiques. Ils conservent le souvenir des taupes du Kremlin qui, dès l’année 1985, avaient branché les grandes oreilles de la CIA sur la ligne téléphonique de Gorbatchev et prirent la fuite par des souterrains, grâce à la complicité d’autres agents liés à des diplomates américains. C’était un gruyère infesté d’espions que cette citadelle réputée opaque. Les spectres savent aussi que l’issue finale ne dépendra ni des micros sophistiqués ni des caméras satellitaires à orbite géostationnaire. Mais du troisième œil. Au cyclope médiatique aplatissant toute perspective historique, s’oppose un regard triple qui médiatise la foi et la raison grâce à l’œil imaginal. Ainsi, contre l’incrimination de la Russie comme responsable unique du conflit militaire en Ukraine, peut-on lui voir une origine centenaire. Dans le No 49 de la Pravda voici tout juste cent ans, j’écrivais en mars 1923 : « L’issue de notre lutte dépend du fait que la Russie, l’Inde, la Chine etc. forment l’immense majorité de la population du globe. Cette majorité de la population, depuis quelques années, est entraînée avec une rapidité incroyable dans la lutte pour son affranchissement (…)

Pour que nous puissions subsister jusqu’au prochain conflit militaire entre l’Occident impérialiste et l’Orient révolutionnaire, entre les Etats les plus civilisés du monde et les pays arriérés formant la majorité, il faut que celle-ci ait le temps de se civiliser. Nous non plus, nous ne le sommes pas assez pour pouvoir passer directement au socialisme, encore que nous en ayons les prémices politiques. »
C’est ce qu’un troisième œil exercé pouvait observer dès 1923, quand il n’était encore question ni de fascisme ni de nazisme, et que l’Occident ne bruissait que de traités de paix visant à conjurer les spectres de la guerre mondiale. Ceux de la place Rouge en rient encore, sous une lune aussi rouge que le soleil et l’étoile à cinq branches. Il me restait moins d’un an à vivre, ayant dans l’épaule et le poumon deux balles tirées sur moi cinq ans plus tôt par l’activiste Fanny Kaplan. Avec un revolver de la firme belge FN, qui lui avait été fourni par l’espion Boris Savinkov.

Les relations entre Poutine et les leaders occidentaux dépendent moins du talent déployé par chaque acteur pour jouer son rôle, que de l’aptitude à simuler une conflictualité sans médiation possible et des points de vue inconciliables avec un réalisme tel qu’aucun spectateur ne soit en mesure de soupçonner, sous leurs échanges de répliques et de missiles d’autant plus vifs qu’ils sèment la mort, le scénario d’une série télévisée. Le fait que depuis trente ans ces protagonistes aient communié sous les espèces d’un capitalisme sans foi ni loi, dicté par la même dramaturgie, ne nuisait guère à l’efficacité d’une mise en scène qui avait la planète entière pour décor. Guerre Mondiale, saison 3 : l’invisible showrunner faisait un carton d’audience et de vision qui pulvérisait tous les précédents records. Je ne pouvais pourtant manquer de déplorer combien se trouvait minorée ma participation décisive à l’intrigue dans les trois parties du film. Aussi, moins par vanité personnelle que par souci d’exactitude, ai-je résolu de m’écarter du devoir de réserve imposé aux morts pour dire ma vérité. Ce n’est donc pas à vous seul que s’adresseront ces méditations mûries au long d’un siècle gouverné par les images, cher Vladimir Vladimirovitch. L’humanité vit une adolescence difficile : cette crise de sortie d’enfance régie par des puissances tutélaires, et d’accession à la liberté d’un être au monde responsable, a pour nom capitalisme. Quelques médicastres ont eu l’intelligence d’établir un diagnostic et de proposer le remède utile à sa régénérescence, mais un mauvais usage du traitement semble avoir eu des conséquences désastreuses. Le pharmakon baptisé communisme n’en est pas invalidé pour autant, même s’il pâtit d’un discrédit provisoire.

La principale production du néocapitalisme fut la destruction d’une idée qui éclairait l’humanité depuis toujours : celle de la possibilité d’une vie meilleure. D’un au-delà, métaphysique ou historique. Chacun est sommé d’accepter qu’il n’y aura plus jamais ni lendemains qui chantent ni avenir radieux. Rien d’autre qu’un éternel présent désenchanté. C’est ici que les foules, à défaut d’élévation collective, sont massivement dirigées vers le bas. Toutes les sociétés antérieures pouvaient être dites anagogiques. Les troupeaux contemporains – mus par les propriétaires du globe selon leurs plus bestiaux instincts – doivent ignorer que leur chute est catagogique. Après anéantissement de la seule expérience dans l’histoire d’une société fidèle aux principes essentiels du christianisme, l’Ours russe n’avait plus droit d’exister que sous forme d’ours en peluche : mascotte pittoresque pour une finance mafieuse internationale qui ne perd jamais le Nord, aimantée par l’étoile polaire. On résolut d’exciter l’Ours en l’orientant vers la Grande Ourse, puis de l’agacer assez pour provoquer sa démence.
Toutes les dévastations qui s’ensuivent lui seront bien sûr imputées, sans que quiconque ne puisse élever une protestation contre un tel jugement, puisque l’ensemble des opérations (y compris l’unique opinion permise à leur propos) se trouvait programmé dans le scénario. Je me permets donc d’user de ma position extérieure à cette bacchanale de mensonges où nul ne reste sobre, pour exprimer le seul discours que vous n’entendrez sur aucune chaîne télévisée. Sa conception relève d’un bond psychique aussi bien que d’une détente physique de la colonne vertébrale. A la verticale, du sacrum à l’atlas. Le nom de cette vertèbre supérieure proche du cou, qui servait de point d’appui pour porter le globe au titan mythologique, me rappelle celui du poète grec ami de Maïakovski qui traversa le siècle XXe en barde soviétique. On l’évoque dans une série de romans publiés en Belgique (à Bruxelles en 1903 fut créé le parti bolchevik). Cet Atlas attira mon attention sur les mots dérivés de la racine grecque « allo » pour signifier l’altérité. C’est lui qui m’a donné l’idée d’user de la notion de parallaxis (écart, alternance, modification du point de vue), pour baptiser le présent exercice à destination du futur Parallaxe du Kremlin.

à suivre...

Méditation captée lundi de Pâques le 10 avril 2023.

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