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 Osez le troisième œil

Sitôt débarqués de la troïka sur le toit de Tiffany, rien n’était plus facile que de parcourir tous les étages de ce temple dévolu aux artifices du faux luxe. Un narratif efficace, comme dit leur novlangue : lieu de désir, d’art et de vie. Relayé par les médias de la planète entière et pour tous les prix. Même si on ne trouve plus rien en-dessous du revenu annuel moyen d’un africain. Le 10e niveau, réservé aux VIP, exhibe la supercherie des NFT : ces « No Fungible Token » qui sont une insulte à l’intelligence humaine, saccagée avec une barbarie nécessaire à son remplacement par celle des robots. Ce qui est réellement non fongible et non échangeable c’est l’Être en ses infinies manifestations, dont l’essence échappe au capitalisme. La marchandise fait preuve d’un cynisme absolu quand, devenue seul sujet par le truchement des objets s’en croyant les propriétaires, elle invente une forme d’elle-même qui nierait son principe en prétendant détenir la qualité de ce qui est unique. Paroxysme de mystification, que ce voyage a pour ambition de faire exploser telle une bulle de savon. Grâce à Gorki. Sa trilogie autobiographique brosse un tableau de la pire sauvagerie dans les rapports humains jamais décrite. Les injures et les coups semblent y être le principal moyen de communication entre les moujiks, chez qui la bêtise et l’ignorance le disputent à la méchanceté, dans l’abrutissement de l’esclavage, de l’alcool et de la bigoterie religieuse. Aliénations dont tenta de suspendre le cours une expérience historique sans précédent, menée entre octobre 1917 et décembre 1991. Plus que toute autre, cette œuvre en montre les prémisses ; plus que toute autre, elle dénonce aussi la barbarie dont s’entacha cette révolution. Sa Pesnia o Bourevestnike – chant de l’annonciateur de tempête – publiée cent ans avant la fin de l’Union soviétique, me revenait alors que nous descendions les escaliers vertigineux de Tiffany. Le prince Mychkine et Onéguine ouvraient la marche, drapés dans d’élégantes mises de leur siècle, qui surclassaient en élégance la camelote contemporaine. Ils hypnotiseraient sans difficulté la faune du show bizness, ordinairement sous cocaïne, par quelque faribole avant le début de la cérémonie sacrificielle. Jusqu’à la terrasse du toit se répandaient les effluves du festin qu’Anna Karenine avait rendu possible en se faisant introduire, avec Biden et quelques barbouzes, au sommet de l’immeuble voisin. Le pauvre Donald n’y vit que du feu : feu sur lequel il bouillirait dans sa cuisine. A-t-on idée de ne pas y réfléchir à deux fois, quand une jeune beauté se dit l’incarnation de la Russie moderne ? Toute l’opération fut réalisée dans une dimension qui échappe à l’espace et au temps ordinaires. C’est ainsi que l’héroïne de Tolstoï put alpaguer les deux larbins de haut rang qui lui serviraient de comparses. Le chaudron continue de fumer sur scène en dégageant une vapeur narcotique, tant est toxique la viande à consommer bientôt. Le prince Mychkine, Onéguine et moi, confortablement attablés autour d’un seau du champagne le plus cher, n’avons rien perdu des prouesses accomplies par Anna Karenine. Un même frisson nous a parcourus les trois fois que fut prononcée la devise de Maxime : « Je suis venu au monde pour ne pas me résigner ».

Le Rocher des Djinns, face aux Colonnes d’Hercule, jouit d’un mirifique point de vue sur New York. Les Atlantes sont aux premières loges pour savourer un spectacle utilisant deux scènes alternatives, aux 725 et 727 de 5th Avenue. Jamais aucun théâtre n’avait bénéficié d’un tel décorum. Le vol plané depuis Moscou requérait un deus ex machina conforme aux ambitions de Global Viewpoint. L’opération s’avérait goûteuse à plus d’un titre : cette alléchante marmite eût fait saliver moins ascètes que les membres du Conseil des Sages ; mais aussi, tous les messages de Lénine continuaient d’affluer dans la machine à bobards des communications bancaires et médiatiques. On avait cru trouver parade au sortilège par un rituel expiatoire, et Lénine y surgissait en chair et en os, plus vivant que celui dont la chair sans les os ferait l’objet d’une transsubstantiation très peu chrétienne. Si chacun se régalait déjà, les milieux du cinéma présents dans la salle se rinçaient l’œil davantage encore à scruter le parfait sosie du leader bolchevik, promesse de records d’audience pour une série sur Netflix, qu’à la performance en scène d’Anna Karenine. Celle-ci s’était écroulée sur les genoux, secouée de convulsions. Les centaines de happy fews conviés à ces agapes représentaient un large éventail de réussites qui, selon les critères de Gorki, s’apparentaient plutôt à la catégorie de l’échec et du renoncement. Les spasmes de la prêtresse en exprimaient le symptôme. Ses membres étaient agités d’une fièvre où tout observateur qui ne fût sous narcose eût perçu les signaux d’un mal collectif. On était sensible, chez les Atlantes, à la psychologie des profondeurs. A travers la loupe de l’océan, cette faune d’outre-Atlantique leur apparaissait comme la dupe éblouie d’un sortilège onirique issu des abîmes de l’inconscient. Grâce aux vapeurs d’une marmite, le scribe illégitime voyait se retourner contre ses concepteurs la stratégie ourdie pour déjouer Global Viewpoint.

Au nombre des impardonnables erreurs que j’ai pu commettre, il me faut avouer n’avoir pas accordé l’importance qu’elles méritaient aux théories de Sigmund Freud. Ce fut, chez nous marxistes, un crime contre l’esprit. Cette évidence me serre la gorge en voyant l’héroïne de Tolstoï bondir sur ses pieds, torse en avant, genoux ployés, croupe en arrière, le poids du corps sollicitant tous les muscles des cuisses et des jarrets, bras tendus vers la salle qu’elle fixe du regard avec une immobilité de bête sauvage à l’affût. Je retrouve Nijinski dansant la figure du faune. Certains êtres sont possédés par un daimôn, dans la mesure même où ils ne possèdent rien. Cela ne fut jamais aussi manifeste qu’en la transe de ce personnage fictif.

Le prince Mychkine et Onéguine, d’un hochement de tête, partagent mon appréciation. Sans existence réelle, ils ont plus de réalité qu’un public où trône au premier rang le président de la Réserve fédérale, Jérôme Powell. Il vient d’accomplir un coup plus fumant que cette marmite sur la scène, en haussant les taux directeurs à 5 %. A ses côtés la secrétaire au Trésor Janet Yellen, qui occupa son poste, rit du psychodrame que provoquera le prochain relèvement du plafond de la dette. La vice-présidente Kamala Harris, à leur table, scrute avec intérêt l’embarras de Biden. Sa couleur de peau lui fera rafler la mise du versatile électorat latino-afro-américain. Bernard Arnault, maître des lieux, semble inquiet de l’emprise mentale exercée par une inconnue sur le gratin des milieux financiers, politiques et médiatiques. Il croit judicieux d’opérer une diversion de french touch en s’approchant du micro pour prononcer le nom de Sarah Bernhardt. Et désigne la chamane russe dans l’intention de la réduire au cliché d’une fameuse diva, dont Paris vient de célébrer le centenaire de la mort : « On peut disparaître il y a un siècle et resurgir en star cent ans plus tard ! ». Eclat de rire d’Anna Karenine, comme si c’était elle qui lui avait dicté la phrase. Les héros de Pouchkine et de Dostoïevski lèvent leurs coupes à ma santé. Du grand art. Donc incompris du public. Mais la diversion fait son effet. Les projecteurs se braquent sur le chaudron. La sorcière, d’un bond de fée, s’éclipse dans l’obscurité. Je replonge un siècle en arrière… Qui, mieux que Gorki, traîna ses bottes plusieurs années durant parmi les « chercheurs de vérité », « pèlerins de la cité future » allant « de ville en ville, de monastère en monastère, par le dédale des chemins russes », pour prendre ses distances avec ces « adorateurs du peuple » que nous étions, marxistes et populistes ? Un socialisme affichant son mépris de tout idéalisme lui était incompréhensible. Il témoignait aussi du racisme ordinaire des Grands-Russes à l’égard des peuples périphériques : « Les chauffeurs, graisseux et noirs de suie, étaient des Biélorusses que l’on tenait pour gens inférieurs ; on leur donnait un nom : ‘ Iagoutes ’ et on se moquait de leur accent… Un Iagoute et un Ukrainien, même tabac ! » Comment n’y pas voir les racines d’un mal dont l’Union soviétique avait réduit les symptômes en accordant à ces peuples une autonomie relative, racisme exploité par l’Occident dans les explosions d’aujourd’hui ? Les étranges relations nouées au fil des siècles entre Grande et Petite Russie, ne s’éclairaient nulle part mieux que chez les écrivains russes d’origine ukrainienne qui, comme Nicolas Gogol dans Taras Boulba, combattaient en faveur de la « cause russe » contre l’Occident mercantile et bourgeois. Le prince Mychkine et Onéguine acquiescent. Et revoici la belle héroïne.

Elle paraît à bout de forces entre ses escort boys, au moment fatidique de soulever le couvercle de la marmite. Son corps a l’air de ployer devant l’effort qui reste à produire. Quatre bras se précipitent pour la seconder. Qu’elle écarte avec un cri déchirant. D’un geste elle brandit au-dessus de sa tête échevelée le cercle de métal, découvrant l’antre où gît le sacrifice à consommer. Je cesse de respirer pour la première fois depuis cent ans. Qu’exhibe-t-elle aux yeux de l’assistance en faisant tournoyer dans l’air ce couvercle de marmite, comme s’il s’agissait d’un bouclier scythe ? En ce temple des biens matériels se produit une apparition surnaturelle. Sous le regard médusé de deux figurants concentrant en eux les prestiges du pouvoir et de la propriété, représentants de la classe des possédants, la possédée les possède. La face de cuivre, sous les feux, montre une image dont les contours se précisent. Le visage de Méduse entouré de serpents.

Peut-on être certain de ce que l’on voit et entend au-delà de l’horizon ? Son cri transperce la nuit de l’Atlantique, réduisant le chant des vagues au silence. Cri démoniaque et angélique d’Anna Karenine, jaillissant du gouffre entre ses lèvres arrondies comme celles de la Gorgone. A travers un brouillard, il semble au Scribe illégitime apercevoir l’élite huppée de Tiffany dans le miroir brandi par une chamane russe, miroir les révélant ainsi qu’un tas de naufragés engloutis. Pour eux, le propriétaire de la tour voisine représentait une caricature si peu convenable qu’il devait passer à la casserole. Mais le festin n’est pas entamé. La marmite au ragoût fume toujours au milieu de la scène et seule a l’air de festoyer la tablée russe levant force verres de champagne. Le scribe illégitime doit beaucoup de ses déboires au récit qu’il fit de ses rencontres avec le prince Mychkine sur la perspective Nevsky de Leningrad. Comme ce dernier, il a pris le train pour Iasnaïa Poliana, l’ancien domaine de Tolstoï, où flottait encore le spectre d’une héroïne réincarnée sur l’autre rive de l’Atlantique. Avec une calme insouciance, celle-ci fait un pas de ballerine, pivotant sur elle-même pour diriger le visage de Méduse vers l’un puis l’autre de ses deux chevaliers servants. C’est alors qu’explose un rire cruel. Comme si elle se devinait observée par une longue-vue, comme si elle savait que son rire strident traverse l’océan, de sa bouche écorchée gicle sur les deux compères un sang qu’on pourrait croire jailli des entrailles de la marmite. Se doute-t-elle du fait que ces images arrivent par satellite jusque sur les écrans de l’hôtel Atlantic ? Massés autour de la piscine pour consommer un tonitruant son et lumière, les touristes ont la surprise de voir modifié le programme rêvé. Ni football, ni série télévisée, ni animation musicale.

Au lieu de quoi, Joe Biden et Bernard Arnault pétrifiés par un bouclier sur lequel une tête à chevelure de serpents redouble le rire d’une folle. Ce face à face entre la Ve Avenue de New York et l’hôtel Atlantic près de Gibraltar, instille une hypothèse dans l’esprit du Scribe illégitime : le monde civilisé n’est-t-il pas un asile d’aliénés ? Tel paraît le message d’Anna Karenine, qui virevolte à pas légers pour s’approcher du micro : « Ladies & Gentlemen ! Faisons abstraction de la volonté d’abuser les esprits qui est le moteur des propagandes médiatiques, et admettons la bonne foi du discours occidental. Ne voyez-vous pas que celui-ci n’a qu’un œil ? Ne voyez-vous pas qu’un véritable regard inclurait la prise en considération de l’histoire spécifique du peuple russe ? Un tel regard exige en outre le troisième œil, qui seul autorise un Global Viewpoint ! » Le Scribe illégitime observe la scène depuis le jardin de l’hôtel Atlantic, où des arrosoirs à tourniquets lancent nuit et jour leurs jets pour abreuver pelouses et greens de golf d’une terre n’ayant pas vu une goutte de pluie depuis plusieurs mois. La population mondiale connectée à Internet vient de dépasser celle reliée à l’eau potable. Plus de la moitié de l’humanité crève des maux physiques d’avant la modernité, prisonnière d’écrans qui la condamnent aux postmodernes intoxications psychiques. Sous drogues chimiques et électroniques, les touristes autour de la piscine digèrent leur couscous tandis que d’un pas lourd, dos voûté sous un incompréhensible fardeau, le plus riche et le plus puissant des humains s’affairent tels des laquais maghrébins vers un chaudron, dont les foudroie le troisième œil du couvercle. Sorcière et prêtresse d’un culte inconnu, la maîtresse de cérémonie leur enjoint de plonger une louche dans le ventre de cuivre. Ils s’exécutent avec un zèle de concurrents d’un reality show. L’argenterie la plus chère, la plus belle vaisselle en porcelaine ont été réquisitionnées dans les somptueux rayons de Tiffany pour être disposées sur des nappes immaculées. Se métamorphose en un bouge des bas-fonds ce sanctuaire du grand luxe. L’assistance huppée se rue vers la pitance odorante ainsi que sur une soupe populaire. Bousculade pire que chez les miséreux du Bronx. Stylés à souhait, nos deux marmitons puisent de gros morceaux de viande en daube, nappée d’une sauce épaisse, qu’ils répartissent dans les assiettes avec la même équité que se partagent les festins aux restos du cœur. Le cadavre d’un ancien président, débité en menus morceaux, devait être assez gras pour fournir une succulente ripaille. Encore faut-il que les convives respectent une élémentaire bienséance. Aussi Lénine se lève-t-il, suivi d’Onéguine et du prince Mychkine, pour officier comme extras bénévoles afin qu’aucun invité ne puisse troubler Anna Karenine.

Celle-ci paraît au comble du bonheur, à rassasier mille comtes Vronsky : « Ladies & Gentlemen, je vous prierai de mettre les bouchées doubles. » On ne se le fait pas dire. Mille mâchoires mastiquent. Lourd est le silence qui s’abat soudain sur une salle plongée dans des voluptés gloutonnes. Un silence funéraire. Propice au Scribe illégitime, qui cultive rêves et pensées comme des œuvres d’art. Voici donc le véritable langage de ces gens. Seuls quelques groupuscules d’extrême-droite, il y a cinquante ans, se réclamaient fièrement de l’« Occident ». Par quelle mutation ce terme est-il devenu quelque chose comme une hypostase dont se revendiquent tous les clochers politiques et leurs chapelles médiatiques ? La Russie, la Chine et l’Iran ne sont-ils pas définis comme des ennemis jurés de l’Occident ? Lequel s’identifie à liberté, démocratie, droits de l’homme. Le Scribe illégitime éprouve une immense fatigue devant pareil cirque. On ne pourrait parler de démocratie qu’à propos d’une société dont les citoyens ne seraient pas dans l’ignorance des objectifs qu’elle poursuit. S’avère-t-il que les stratégies sont d’une totale opacité – comme c’est le cas des manœuvres économiques, politiques, idéologiques et militaires des sociétés chapeautées par Wall Street, le Pentagone, Hollywood et la Silicon Valley ? Cet artifice de propagande fait alors partie du brouillard mystificateur empêchant les gouvernés d’apercevoir vers quels abîmes conduit la barque dont le gouvernail est en leur nom manié. Toujours ce silence masticamystificateur. Si Machiavel désigne comme apanages du pouvoir la ruse du renard et la force du lion, ceux-ci n’ont-ils pas pour corollaires faiblesse et stupidité du troupeau ? D’où les doses massives de produits narcotiques. En quoi sont expertes les sommités rassemblées ici. Plongées dans leurs mangeoires. Pour un fois piégées. Par la grâce du troisième œil. Celui de la Gorgone Méduse entourée de serpents. Sur le couvercle de la marmite brandi par Anna Karenine à travers l’Atlantique.

Le troisième œil s’unit aux deux autres pour créer un regard tournoyant en hauteur et en profondeur, dans l’infinie spirale du point de vue global. Globalnaïa totchka zrenia pourrait s’appeler une vision du monde reliant en l’humain ce qu’il a d’animal et de divin. Ce que préconisait Gorki. J’ai invité mes compagnons de table à se lever pour prêter notre concours aux deux prolétaires sous les ordres de la cantinière. Si ma conception du communisme envisageait qu’une cuisinière puisse exercer des fonctions gouvernementales, il allait toujours de soi que j’aide Nadejda Kroupskaïa dans ses tâches ménagères. Sitôt monté sur la scène, l’horreur me saisit à voir Joe Biden trembler en jouant de la louche comme un laquais apeuré.

Bernard Arnault montrait bien plus d’assurance, probablement en raison d’une plus riche expérience dans les jeux de cour. « Vas-y, sers-nous à boire ! », le tançait Anna Karenine, et il s’y employait avec distinction. Tout en leur apportant mon concours, j’étais frappé par la soumission de ces dominants. S’il ne m’appartenait pas d’en établir la Nomenklatura, je voyais défiler le plus prestigieux gibier de la presse people, couvrant tous les domaines de la célébrité. Mais il affichait moins de réelle prestance, voire d’élégance, qu’il y a cent ans les invités de n’importe quelle fête locale du parti bolchevik. « Champagne pour tout le monde ! » me prit-il alors l’envie de crier. L’hôtesse approuva dans un grand rire, heureuse de satisfaire les appétits de cette gueusaille. « Et du plus cher ! », ajouta-t-elle en désignant la réserve aux magnums. Toutes les flûtes et coupes de la boutique firent leur apparition grâce au flair du patron de LVMH, qui se révéla parfait échanson. Le chef de la Maison-Blanche continuait de remplir les écuelles en faïence. Car persistait l’impression d’une cour des miracles recevant son obole sous le regard de Méduse, dont la crinière de serpents leur évoquait sans doute un faisceau de fouets. Je regrettais à nouveau n’avoir pas accordé l’importance qu’elles méritaient aux idées de Freud. La scène ici vécue me paraissait une exemplaire illustration du sadomasochisme propre à la classe possédante et dominante. Elle joue de son phallus mais est terrorisée par la matrice. « Vous avez commis la même erreur, camarade Poutine », éructa la Gorgone. Etais-je le seul à l’entendre ? Je perçois le regard de Biden, fait de crainte et d’embarras. Malgré la pitié qu’il m’inspire en pareille circonstance, on ne peut nier qu’en Ukraine s’opposent deux volontés rivales ayant désir de jouir chacune en exclusivité d’une instance maternelle fantasmatique appelée « patrie ». Mais seul Poutine est accusé de ce délire. Je prends la louche des mains du pauvre Joe, la replonge dans les entrailles du ventre de cuivre où reposent les reliefs de son prédécesseur immolé pour un festin totémique, et l’entraîne à l’écart en posant sur ses frêles épaules un bras protecteur. Mon silence lui parle. Voyons mon gars, pourquoi tu fais ça ?
Vers la Gorgone se tournent les yeux d’un petit enfant pris en faute. Oui, nous avons sciemment provoqué la rage de l’Ours russe, confessent-ils. Et le fait que celui-ci ne manifeste aucun signe de culpabilité ne fait que cautionner nos accusations, en y ajoutant une circonstance aggravante. Pulsion de mort dans une économie politique libidinale, ont diagnostiqué nos psychanalystes en référence au continent noir de ces terres grasses et fécondes attirant les convoitises des conquérants depuis l’Antiquité
C’est sorti d’un coup. Vers Méduse. Comme du sphincter de l’Occident.

Les touristes applaudissent autour de la piscine de l’hôtel Atlantic. Où a-t-on pu dénicher pareils acteurs ? La réflexion de Global Viewpoint s’est faite réflecteur dardant ses rayons d’une rive à l’autre de l’océan. Rais de lumière concentrés par le miroir de Méduse brandi par Anna Karenine. Celle-ci, taquine, a cligné de l’œil en lançant à l’adresse de Biden : « Tu n’as pas honte, gamin, d’avoir fait exploser le gazoduc Nord Stream ? ». Le Scribe illégitime a capté un geste convivial de Lénine en direction du couvercle catoptrique, et perçu les mots rassurants chuchotés à l’oreille du chef des armées de l’Alliance atlantique : « Osez le troisième œil ! ». Il croit se souvenir du fait qu’en 1949 – l’année où fut créée l’OTAN –, l’un des plus importants penseurs du XXe siècle publiait Democratic Leadership and Mass Manipulation. Theodor Adorno y interrogeait « la naïveté d’un grand nombre de personnes se laissant prendre dans les rets de la propagande politique ». Il faisait appel à la psychanalyse pour se demander comment « le désir d’amour commandant les humains est approprié par les promoteurs de l’inhumain », et aussi comment « les souffrances causées par la manipulation sont utilisées de manière manipulatrice ». Cette puissance de subjugation, démultipliée de manière exponentielle, produit des ravages tels qu’un psychocide se combine au biocide perpétré contre la nature pour produire un anthropocide, auquel prêtent leur concours des appareils de conditionnement sans précédent. Dont apparut une préfiguration sur les écrans voici cent ans. Ce rappel ne va pas sans mêler à l’effet-miroir optique, une audition de ce que Lénine continue de murmurer à son protégé. Celui-ci n’en mène pas large depuis l’accusation sévère de la Gorgone : peut-il apparaître comme un méchant garçon, quand ce rôle est dévolu au chef ennemi ? Lénine le console : on perçoit, à leur conciliabule, que si le pouvoir hégémonique mondial se prévaut d’une supériorité morale dans l’arbitrage des conflits, ce n’est pas malgré mais grâce aux manœuvres du crime organisé. L’expertise de la mafia dans les secteurs de la finance et des médias garantit légitimité politique. Le gourou BHL ne vient-il pas d’enjoindre à l’ONU de placer la Russie sous tutelle internationale ? Ce pays de barbares somnambules n’est pas apte à se diriger lui-même. L’Empire occidental, depuis Rome, est doté d’une ontologique supériorité par élection divine, donc désigné pour imposer les commandements du Créateur à l’univers. Sa capitale est une Terre promise par l’Eternel. Washington assume cette mission sacrée jusqu’au jour où le gouvernement planétaire aura son siège à Jérusalem. Le Scribe illégitime voit Joe Biden rassuré par les mots doux de Lénine.

Qui en revient à la prémonition de ces plans sur les écrans voici cent ans. C’est au génie de Fritz Lang, dit-il, qu’on doit une telle vision. L’année 1922, se consolidaient en Russie les premiers acquis d’Octobre 1917. En même temps le fascisme prenait son essor en Italie : réaction du capital au danger bolchevik. Rome, initial foyer de César, lançait une entreprise impériale qui ne tarderait pas à gagner Berlin. Fritz Lang déploya dès lors sur les écrans l’ombre d’une puissance démoniaque manipulant les foules par la terreur, dans une Allemagne gouvernée par la finance et le crime sous le vernis démocratique de Weimar. Durée totale des deux parties du film : près de cinq heures. Un pervers sociopathe y est le héros du premier vrai grand film de l’histoire du cinéma. Docteur Mabuse peut donc être considéré comme le titre honoris causa de l’instance occulte gouvernant le globe en fonction de ses intérêts, lesquels ne subirent pas de plus sérieuse mise en question réelle que par l’héroïsme du peuple soviétique. Tel est le grand tabou pesant sur la conscience de l’humanité. Nul n’a le pouvoir de le transgresser publiquement. Cette stratégie de la domination requiert une réclusion des esprits qui échappe d’autant mieux à leur compréhension qu’elle usera pour diversion d’autres confinements, sous prétextes sécuritaires ou sanitaires. Au cours des derniers lustres se multiplièrent les faits divers plaçant sous projecteurs la figure du pervers sexuel, dont l’insolente confiance en son impunité révélait la vilenie ; plus bétonnées qu’une centrale nucléaire sont les couches d’omerta qui dissimulent aux regards la figure du pervers social, ce prédateur financier déguisé en philanthrope qui, tel George Soros avec son Open Society, ne peut être mis en question sous peine de condamnation pour complotisme. Sous cette accusation, les critiques radicales n’ont donc plus droit de cité. Bien plus, elles sont disqualifiées comme rétrogrades par les nouveaux clergés LGBTQ. Méduse approuve, qui ornait jadis le bouclier d’Athéna.

Méduse, Mabuse. Est-ce leur similitude sonore qui m’a fait associer ces deux noms sans aucun lien rationnel ? Biden paraît inquiet. Jamais ne fut exposée de manière aussi concise la teneur de sa mission, mais il semble se détourner d’un masque à l’expression devenue pour lui menaçante. Il jette un œil vers son compère français, toujours absorbé par le service du champagne. Je dresse l’index devant mes lèvres serrées : tout ceci restera bien sûr entre nous. Son bref regard circulaire l’assure du fait qu’il peut à son tour me faire des confidences. Depuis qu’il occupait le siège de vice-président sous Obama, souffle-t-il en couvrant sa bouche d’une main, la stratégie consistait à verser de l’huile sur le feu pour hâter les hostilités.

Tout en feignant le contraire. Les médias d’Europe étaient heureusement sous parfait contrôle de l’Amérique depuis l’ère Clinton. Faire miroiter une entente cordiale avec l’ennemi, pourvu qu’il accepte un abandon de sa souveraineté, fut l’affaire des années 1990. Cette reddition vue comme un triomphe démocratique était la prémisse d’un syllogisme ayant pour conséquence une interdiction de tout sursaut chez l’Ours russe, aussitôt dénoncé comme attentatoire à la démocratie. Poutine provoqua ce réveil. Mais l’Ours était cerné. Tous les pays voisins pointaient sur lui les armes démocratiques de l’Alliance atlantique. Et sa tanière était infestée par les rats que nous avions introduits pendant dix ans dans son garde-manger…
La silhouette vacillante bombe le torse et toise le masque de Méduse. Un petit garçon tout à l’heure pris en faute parade. Il désigne en souriant la tête entourée de serpents. Notre supériorité, poursuit-il, est culturelle. Nos bataillons d’experts pourraient expliquer que le docteur Mabuse incarne Mètis, la déesse grecque de la ruse, que Zeus épousa pour sa faculté de simuler et de dissimuler. C’est le secret des maîtres du globe. Nous sommes dans un coin d’ombre et je m’inquiète. Les convives n’ont pas l’air de quitter leurs mangeoires, mais combien de temps le couvercle brandi par Anna Karenine exercera-t-il son effet ? Sleepy Joe se rappelle-t-il encore l’exécution totémique de Trump et sa mise en marmite, ainsi que les causes de ce festin expiatoire ? Il ignore que le regard de Méduse est une lunette plus puissante que ses caméras satellitaires. D’un doigt furtif, il effleure ma barbiche comme pour vérifier mon identité. Je le relance à propos des multinationales américaines, adossées à des fonds d’investissement brassant l’équivalent du PIB de l’Europe. Elles se sont emparées d’un tiers des terres ukrainiennes grâce à la complicité des mafias placées au pouvoir à Kiev. Cette prédation, imposée par Zelenski, se présente comme une aide bénévole au nom des valeurs démocratiques. Dans le même temps vous provoquez la Chine à Taïwan, mais Pékin est désigné comme fauteur de troubles. Ainsi le docteur Mabuse actualise-t-il une sentence affirmant que Jupiter sème la folie chez ceux qu’il veut perdre. Fabriquer des illusions pour duper la multitude requiert un art de l’hypnose apte à brouiller les consciences. Qui d’autre est maître du jeu que le Docteur Mabuse ? Fritz Lang fit revenir son fantôme en 1933, l’année de l’accession d’Hitler au pouvoir. Au lendemain de la victoire sur le IIIe Reich, resurgit encore en 1960 Le Diabolique Docteur Mabuse en manipulateur des techniques modernes : écrans, caméras, télévisions, leurres, fantasmes voyeuristes, miroirs sans tain : tout voir sans être vu. Donner à voir comme vrai ce qui est faux ; comme faux, ce qui est vrai.

Titre original du film : Die 1000 Augen (les mille yeux) des Dr Mabuse.

Les yeux qui liront ces pages n’ont pas encore vu le jour. Est-ce l’aube ou le crépuscule qui se faufile entre les paupières du Scribe illégitime ? Nul décalage horaire d’une rive à l’autre de son Atlantique. Est-il celui qu’il fut ou qu’il sera ? Les quatre en un, si l’on n’oublie pas son double. Mabuse, hypnotiseur hallucinogène et maître en sortilèges, se dissimulait dans l’ombre quand il orchestra la destruction de l’URSS voici un tiers de siècle. Il fait endosser à Joe Biden le costume de pater familias d’un Occident déléguant à l’OTAN la protection du monde civilisé dont le cœur battant est Wall Street, la force vitale au Pentagone, et l’esprit se partage entre Hollywood et la Silicon Valley. Le chef de l’Exécutif joue aussi le rôle de leader de l’opposition quand, défenseur d’un humanisme progressiste, il fait mine de s’opposer aux mauvais coups d’une alt right maîtresse de la Cour suprême et du Congrès. Mabuse était apparu dans le livre d’un auteur belge qui le mit en scène sous les traits de Herr Doktor Bubble Gum. Il fut décrit à la manœuvre d’une stratégie de manipulation des foules utilisant un appareillage de représentations falsifiées, que les situationnistes conceptualisèrent sous la notion de Spectacle. Terme impropre, selon l’auteur belge, puisqu’il englobe fallacieusement tous les produits du gigantesque show assurant la parade visuelle et sonore des marchandises et les films de Fritz Lang, Buñuel ou Pasolini. L’auteur belge signala d’ailleurs que Guy Debord entama sa carrière en prétendant détruire le cinéma par un film sans images, et en insultant Chaplin venu présenter à Paris Limelight en 1952. Cette surenchère dans la critique du capitalisme produirait un discrédit théorique irrémédiable pour l’Union soviétique. Le situationnisme s’infiltrerait alors parmi les idéologies du docteur Mabuse. Et l’auteur belge serait effacé du paysage. Malgré mille yeux satellitaires supposés tout voir, se dit le Scribe illégitime en scrutant l’océan, Mabuse ne me voit pas mais je le vois grâce à Méduse. Et celle-ci voit clair : partout, dit-elle, ce que celui-là fomenta comme révolutions démocratiques était conforme aux plans d’Oncle Sam. Les fléaux qui ont ravagé l’Iraq, la Libye et la Syrie préfiguraient le sort promis à la Russie. La langue de la mort a pour mots des bombes : en Ukraine, le génie de Mabuse fut d’imposer un scénario faisant tenir à l’ennemi ce langage. Les feux d’artifice américains sur Baghdâd en 1991, ces déluges d’obus qui promirent à la terre où naquit l’écriture un retour à l’âge de la pierre, accompagnaient les manœuvres occultes pour abolir l’Union soviétique. Depuis, l’on verse du pétrole sur les braises entre mers Noire et Baltique.

Mabuse dispose d’une science de l’histoire qui lui fait savoir combien gorgées du sang de guerres millénaires sont les terres frontalières. Il en est ainsi des vastes zones séparant en Europe le monde germanique des Celtes à l’Ouest et des Slaves à l’Est. Mabuse en tira profit lors des deux premières guerres mondiales. Il n’ignore pas qu’une part des populations slaves d’Europe orientale aspire à renier ses origines pour gagner le giron de l’Empire occidental. Méduse éclaire donc ce que doit cacher Mabuse : une stratégie visant à la formation d’un Etat groupant Lituanie, Pologne et Ukraine au flanc de l’Europe, sous les ordres de l’Alliance atlantique. Le Scribe illégitime voit ces pensées survoler l’océan depuis Manhattan et tournoyer autour de Gibraltar ainsi que les oiseaux de mer qui naguère l’avaient accompagné sur la mer Noire comme sur la mer Baltique. Le rire de ces mouettes servira-t-il de bande sonore pour Global Viewpoint ?

Jamais comme l’immeuble Tiffany ne fut ébranlé building à New York. Une porte invisible s’est ouverte avec fracas, faisant déferler à l’intérieur un courant d’air glacé qui charrie des oiseaux de mer venus d’un autre monde. Les rires des mouettes en Amérique ont perdu l’accent du Vieux continent. Leurs cris comme leurs ailes désormais sont électroniques. Ce sont elles, bourrées de logiciels téléguidés depuis la Silicon Valley, que l’on s’apprête à lancer contre l’Ours russe grâce à intelligence artificielle. Du moins le claironnait au cours du festin le père de ChatGP, comparant cette merveille à un esprit extraterrestre. Qu’il repose en paix dans son sommeil parmi les autres convives. Je ne cite aucun nom. N’importe quel magazine en célèbre le culte chaque semaine dans temples et châteaux de fumée. La marmite est vide et les ventres sont pleins. Seigneurie de bas étage, épiscopat d’âmes putrides, ces happy fews dictant à l’humanité ses fantasmes ont piqué du groin dans leur auge. Anna Karenine lance à la cantonade : « Eh bien les amis, vous avez apprécié ce gueuleton ? ». Elle peut enfin baisser le couvercle au visage de Méduse, qu’elle tient braqué tel un phare depuis des heures pour conjurer les mille yeux de Mabuse. Ces invités roupillent d’un sommeil digestif, affalés sur leurs assiettes ou écroulés par terre. Le Frenchie ramasse verres et couverts, tandis que j’invite le Yankee à boire un dernier coup à la table de mes camarades. « La Russie ne peut trahir la grande idée qu’elle a reçue en héritage », y lance le prince Mychkine pour accueillir Biden. « Bientôt s’envoleront au galop les chevaux de la troïka qui nous attend sur le toit », l’approuve Onéguine. Je prononce, en guise de toast, ce qui me vient à l’esprit : « Levons la coupe d’une libation barbare à la santé de l’élite civilisée ! »

Qui aurait cru que je ferais le pitre à New York un siècle après ma mort ? Les flûtes s’entrechoquent. Anna Karenine fait observer que la Gorgone mériterait de prendre part à notre sauterie d’après banquet. D’une région reculée de la mémoire me revient le souvenir de l’aède grec dont j’ai déjà parlé, qui nous avait entretenus de ce personnage mythologique. Gorgos, en sa langue, veut dire effrayant. Cette racine issue du sanskrit signifiait à l’origine un cri surhumain, que font entendre les morts de l’Hadès. Car les Gorgones habitaient au-delà de l’océan, dans l’extrême Occident. De sorte que, pour plaisanter, l’aède aimait appeler Gorkos notre ami Gorki. Il ajoutait que le sang de la Gorgone était un remède ou un poison, c’est-à-dire qu’il représentait le pharmakon, aux propriétés duelles de vie et de mort. Anna Karenine scrute l’ombre de la salle où gisent tous ces corps. Moins vivants que je ne l’étais dans mon mausolée. Par la salive de son baiser sur la place Rouge avant notre départ, m’a-t-elle inoculé un philtre de résurrection ? Méduse était l’un des noms de Gorgone, dont la tête fut tranchée par Persée pour servir de conjuratoire sur le bouclier d’Athéna. Nous voyons surgir de l’ombre une silhouette enveloppée dans une cape. Elle se dirige à pas lents vers notre table, comme surgie de l’Hadès à l’énoncé de son nom. Moustache et traits anguleux sont reconnaissables entre tous. Il s’assied, prend un verre, s’arrose le gosier, puis désigne en souriant l’une des épaves affalées à une table voisine. Vous connaissez ? dit son hochement de tête. Nous avions aperçu ce personnage ayant ses habitudes en tous les palais impériaux du docteur Mabuse. J’ignore ce qui inspire Joe Biden quand il se lève pour tenir un discours stupéfiant :
« Maître des dirigeants du monde occidental comme prophète éclairé de l’Eternel, Dieu des armées d’Israël, BHL a pour tribune universelle son propre tribunal. Il y réitère le mystère de la Trinité réunissant en sa personne les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, non sans fusionner puissance économique, pouvoir politique et gloire culturelle. A lui seul il incarne et accomplit ainsi le projet de la bourgeoisie : celui d’une totalisation de l’existence et de l’apparence privées de sens et d’essence, ayant pour fin Kapitotal et pour moyen la tour Panoptic. La putréfaction du monde qui en résulte requiert, pour être signalée, la vision globale de l’aède. A ce degré de négation d’une essence humaine toujours à définir, il n’y a plus de commune mesure entre les fonctions concédées à l’artiste ou à l’écrivain dans les structures existantes, et la mission qui consiste à vous enivrer de la musique du fleuve ainsi que l’a fait Maxime Gorki. »

Les nuages au-dessus de l’océan sont la mémoire d’une telle cérémonie.

Le Scribe illégitime a recueilli l’alcool des mots dans ses mains tendues en coupe, afin de trinquer avec les fantômes d’outre-Atlantique. Jamais il n’a ressenti pareil état d’ébriété spirituelle et intellectuelle. Comme s’il avait participé lui-même aux libations chez Tiffany. Le miroir magique a cessé de lancer ses rayons. Pourtant, le discours intégral de Biden vient de lui parvenir, truffé de formules appartenant à son propre vocabulaire. Comme si les services de l’ombre l’ayant mis sur écoute s’inspiraient de Global Viewpoint. Il paraît certain que le Rocher des Djinns joue un rôle dans cette fantasmagorie. Gibraltar est à un bond d’Atlante et constitue le pivot du circuit prenant source à Nijnevartovsk pour passer par Beltsy, Riga, Saint-Marin, Nauru, les Hébrides, avant d’émerger en Amérique à travers une structure complexe de trusts soumis à différentes juridictions. C’est dans ce réseau de données bancaires qu’il fut imaginé d’infiltrer la pensée de Lénine. Suite à quoi prétendit réagir l’adversaire, sur le conseil de ses anthropologues, par un rituel impliquant le sacrifice expiatoire du précédent locataire de la Maison Blanche. Exécuté dans son penthouse au sommet de la Trump Tower, puis débité pour être dévoré en ragoût par l’élite afin de conjurer cette sorcellerie orientale, il s’est avéré que le troisième œil de Méduse a triomphé des stratagèmes du docteur Mabuse. Mais qui aurait prévu un discours de Biden attaquant BHL, grand pontife de l’Empire occidental ? Selon l’hypothèse du Scribe illégitime, il fallait l’intervention d’un esprit récemment passé dans l’autre monde, ayant eu lui-même quelque tendance pontificale, et connaissant assez BHL pour le cibler d’une flèche mortelle décochée par le chef de l’Alliance atlantique. Un seul homme répondait à ces conditions : l’écrivain français qui depuis plusieurs années, recevant les messages relatifs à l’Atlantide lancés par le Scribe illégitime, s’en était ouvertement inspiré dans son dernier roman. C’est ainsi que Philippe Sollers, n’hésitant pas à se présenter comme un Atlante, y écrit avec ironie qu’« aucun autre Atlante ne vous fera signe », mais qu’« on peut trouver, ici et là, traces de réfugiés de l’Atlantide ». Comme Elon Musk est la cible privilégiée du Scribe illégitime, Sollers dirige son trait vers le fait « de voir l’humanité aller sur Mars mais être incapable de découvrir des traces de l’Atlantide ». Il ajoute aussitôt qu’ « une trouvaille visible interromprait tous les programmes télévisés ». Graal – ultime titre de Sollers – égrène si bien « le presque inaudible murmure subtil des Atlantes », locuteurs de « la Parole Suprême », ainsi que la figure du « Migrant atlante », présenté comme un « clandestin », que le Scribe illégitime s’est adressé au Conseil des Sages en Atlantide. Lequel, sur le Rocher des Djinns, confirme la validité de cette intuition.

Pareil renfort est appréciable, face aux stratégies de l’Alliance atlantique. On vient de le constater à New York. Aussi le Scribe illégitime – appelé de longue date par Sollers le fou de Bruxelles – a-t-il sollicité son point de vue sur la guerre en Ukraine, afin d’en illustrer Global Viewpoint : « Il est certain, pour le Conseil des Sages, que la guerre cesserait si les deux camps signaient une déclaration respectueuse d’une double réalité. 1) L’Ukraine existe comme Etat indépendant ne faisant pas partie de la Russie. 2) Une part de l’Ukraine est russe comme une part de la Russie se trouve sur le territoire ukrainien. Les populations concernées sont seules habilitées à choisir la nation et l’Etat dont elles sont membres. Il n’est donc aucune instance qui puisse décréter que l’Ukraine appartient à la Russie, ou que les populations russes appartiennent à l’Ukraine. Il s’ensuit que l’exigence d’un retrait de la Russie des territoires habités par des Russes en Ukraine comme préalable à toute négociation de paix, équivaut au choix délibéré d’une escalade sans autre issue que militaire. Criminelle est cette position de l’Occident pour les Sages d’Atlantide. »

Une chevelure enroulée de serpents guida le galop de notre troïka, qui franchit l’Atlantique en coup de vent pour me déposer dans ce mausolée que je n’ai peut-être jamais quitté. Telle est la puissance du troisième œil ayant accouché voici cent ans de l’Union soviétique. Mais tel est aussi le pouvoir borgne aux mille yeux de l’Empire occidental, qu’il détruisit cette création du génie de l’humanité, sans laquelle elle se voit réduite à une double infirmité : gangrène pour le corps, cancer de la tête. Encore est-il abusif de parler de tête à propos d’un Caput Totius Mundi menant la planète au chaos. L’avis d’un écrivain français réputé, qui fut salué par Aragon, devant le Conseil des Sages en Atlantide, rallierait la majorité des citoyens européens, si leurs chefs ne propageaient le délire d’un Ours russe menaçant les chaumières de l’Europe entière. Ce rideau de fumée dissimule toujours la même stratégie de conquête économique, politique et idéologique depuis la Rome impériale. A ceci près qu’elle véhicule aujourd’hui le cliché pervers d’un monde réduit à « la confrontation des démocraties et des empires totalitaires ». Où que ce soit dans le monde il n’y eut jamais de démocratie digne de ce nom. Cet artefact propagandiste bourgeois masque le fait qu’un réel pouvoir des peuples signifierait celui des soviets à l’échelle planétaire. Ce dont j’étais conscient voici cent ans. Tout en mettant en garde nos nations contre nationalisme et chauvinisme grands-russes, infects héritages de siècles d’oppression barbare, ainsi que l’avait analysé Karl Marx dans ses dénonciations du despotisme oriental.

Notre combat légitime ne peut se fonder sur l’oubli de ces contradictions.
Mais si le peuple ukrainien ne voulait plus du knout russe, il n’était pas disposé à subir les férules de Wall Gone, Hollystreet et Pentawood. Il y a trop de conscience historique chez des anciens soviétiques, pour subir un destin d’esclavage. Ils n’auraient pas accepté privatisations et destruction des protections sociales sans les manœuvres qui décidèrent de leur destin bien avant que les bombes ne pleuvent ; bien avant la place Maïdan ; bien avant que le Kremlin ne s’oppose à un tel dépeçage de l’Ours russe. Pardon si je suis contraint de me livrer à un rappel historique fastidieux, sur cette place Rouge où me voici revenu après l’escapade new-yorkaise.
Que la Russie ait eu Kiev pour capitale n’implique pas l’appropriation de Kiev. Il est impératif de séparer les dimensions physique et symbolique. Un organisme ayant eu sa tête à l’extérieur des limites actuelles, devrait s’en remettre à l’intelligence de sa nouvelle tête. Que celle-ci prétende englober la tête antérieure l’oblige à penser ce que fut sa soumission à un autre joug. Jadis, un royaume khazar faisait payer tribut aux tribus slaves entre le Caucase, le Don et la Volga jusqu’en la région de Moscou, qui n’était qu’une bourgade arriérée. De confession judaïque, ce royaume assurait un équilibre entre l’empire de Byzance et le califat de Baghdâd. Le baptême de Vladimir à Kiev en 989 fut précédé par des manœuvres diplomatiques mettant en scène les quatre grandes religions de l’époque, puisque le schisme chrétien se trouvait accompli. Les controverses entre ces façons de faire usage d’une divinité à prétention universelle servirent de prétexte à Vladimir pour choisir ce qui correspondait à ses intérêts. Constantinople permettait une expansion de la mer Noire à la Baltique. Voilà pourquoi, mille ans plus tard, on adore les mêmes icônes de Kiev à Vladivostok. Ce qui n’implique pas une sujétion des peuples slaves à Moscou. Je vois les hordes venues des steppes déferler sur nos forêts, tourbillon de chaos sans fin, poigne des tsars sur océan de misère, aigle bicéphale à couronne impériale tenant en ses serres globe et sceptre. Mais je vois aussi la lumière d’une terre et d’un ciel infinis. Sur cette lumière j’ai ouvert les yeux après un sommeil de cent ans. C’est elle qui m’a fait voir l’erreur d’avoir subordonné cette opération militaire à une idée de la Russie puisée dans sa culture antérieure au capitalisme, sans creuser jusqu’aux racines de cette culture, ni étudié les plus modernes rouages du capitalisme occidental. Il conviendrait à ce propos de méditer les propos que Fritz Lang attribuait dans son film au docteur Mabuse. On ne peut mieux synthétiser la marée noire de nihilisme destructeur qui se déverse sur le théâtre du globe, dont l’une des pires scènes est l’Ukraine :
« L'âme des hommes doit être terrorisée par des crimes apparemment absurdes ; notre but ultime est d'instaurer le règne absolu du crime, de créer un état total d'insécurité et d'anarchie fondé sur la destruction des idéaux d'un monde condamné au naufrage. Quand les hommes envahis par la terreur due au crime seront devenus fous d'épouvante, quand le chaos sera la loi suprême, alors viendra l'heure de l'empire du crime. »

Qu’adviendra-t-il du message de Lénine dans Global Viewpoint ? Plus de Méduse à l’horizon. Le Scribe illégitime, face au Rocher des Djinns, voit défiler sur le rivage une colonne de touristes en voiturettes pétaradantes. L’âme estropiée, l’esprit gazé, neurones électrocutés, psyché robotisée, sens flagellés, génitalité génétiquement modifiée, conscience expropriée d’une humanité couronnée de barbelés ; toute réalité réduite à pellicule d’emballage visuel et sonore privé de contenu, formaté pour obéir aux conditions optimales de la circulation marchande selon les lois d’une interchangeabilité généralisée, sacrent le triomphe du docteur Mabuse. Tout humain ne serait-il en droit d’exiger de la société qu’elle s’adapte à lui ? Voilà ce qui serait une véritable organisation : la permission pour chacun de s’épanouir dans une large diversité d’activités productives et créatives où l’utilité, mais aussi la futilité, primeraient sur la valeur d’échange ; et le travail vivant, sur ce travail mort qu’est le capital hérité des générations précédentes. Il ne s’agirait pas de nier le marché, qui demeurerait médiateur dans la circulation des biens, mais de soumettre la Valeur à cette médiation transcendante qu’est la Parole. C’en serait fini de Kapitotal, de la tour Panoptic et d’un Pseudocosme où le réel s’englue dans une imagerie dont se tapisse un labyrinthe sans issue par écrans interposés. Le technopithèque cèderait la place au sphéranthrope. Il s’en faudrait d’une articulation nouvelle entre ces modalités psychiques essentielles que sont foi, raison, imagination : la sainte trinité de l’avenir.

à suivre...

Méditation captée le 19 juin 2023.

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