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Le Voile viole

La " libre pensée " finit-elle où commence l’exercice d’une pensée libre ? Oligarques et hiérarques viennent encore de perpétrer l’un de ces rites barbares sacrificiels par lesquels, immolant l’Autre de siècle en siècle sur l’autel de libertés artificielles, une société croit conjurer ses malédictions originelles et poursuivre sans mise en question son destin d’astre mort…

Nul penseur n’est moins suspect de partialité partisane que le sociologue Edgar Morin, modèle d’honnête homme abhorrant tout extrémisme, dont Le Monde publiait une page de réflexions ce 8 juillet, jour de son centenaire coïncidant (hasard objectif) avec l’anniversaire de Michèle…

Qui pourrait-il invalider son constat ? La tyrannie de Kapitotal « aggrave une crise des démocraties corrompues par ce pouvoir, ainsi qu’une crise de la pensée politique, vidée de tout contenu et se mettant à la remorque de l’économie, elle-même soumise au néolibéralisme ». Il s’ensuit que « cette dynamique contribue à une énorme régression politico-sociale » ; et que « l’insuffisance d’une pensée si puissante dans l’algorithmisation des données existantes, mais aveugle à ce qui est le caractère même de l’histoire humaine » ayant pour cible évidente la tour Panoptic, celle-ci n’a même plus besoin d’être nommée…

Telle devrait être la base de toute analyse, face à l’hypocrisie d’État chassant de son poste une femme pour crime de couvre-chef. Occulterait-on cet enseignement de la plus élémentaire pensée critique, s’imposerait un discours pseudologique ayant pour indiscutable prémisse l’excellence d’un système dont il n’y aurait pas à douter que le but serait de propager partout les libertés démocratiques. Mais Irak ou Haïti, Libye ou Corne de l’Afrique, ne sont-ils pas laboratoires planétaires d'un tel système ?...

Le Voile viole : ce précepte s’inscrira dans notre Constitution. Car, portant foulard, une femme aurait « violé le principe de neutralité ». Chacun a vu le jeu de bonneteau, nul n’a compris le tour de passe-passe – dû à l’ambiguïté sémantique de cette notion de neutralité – qui devait aboutir à la neutralisation forcée d’Ihsane Haouach...

 Ihsane Haouach

Rappelons que « neutre » vient du latin NE UTER signifiant « ni l’un ni l’autre ». Tel est bien le statut de l’État, monstre froid. Mais aucun être humain n’est « ni l’un ni l’autre ». Tout agent de l’État (tant qu’il n’est pas remplacé par un robot) porte signes d’origine ethnique et culturelle, de genre, de classe, de couleur politique. Le projet démocratique se fonde sur une confrontation d’identités plurielles non soumises à contrôle disqualifiant ce qui ne correspondrait pas aux normes souveraines. L’ouverture aux altérités définit ce projet toujours en devenir. En serait-il autrement, nous serions en régime absolutiste. Ce qui devient le cas dès lors que cette prétendue neutralité n’est exigée que des signes extérieurs de l’Autre, et se confond à l’impartialité. La ruse du stratagème consiste à poser comme prémisse du raisonnement fallacieux l’hypostase de la liberté comme inhérente à notre culture, face à celle de l’Autre qui serait par principe sa négation attestée par le Voile. Dès lors, en une parfaite circularité, ce Voile viole nos principes les plus sacrés – sans que puissent exister mille raisons singulières, pour mille différentes femmes, d’afficher un refus de la norme standardisée…

C’est rien moins qu’un dogme inversé dont s’imposent les signes : celui qui interdit toute foi ne sacrifiant pas à la transcendance du capital, à l’universalité du règne de l’argent, à la communauté du marché. Bien sûr, cette hypocrisie requérait la complicité des États que l’Occident fit dépositaires de tout pouvoir sur l’islam. On sait comment, depuis 1945 et le pacte entre Roosevelt et la tribu Saoud, en passant par les fabrications d’Al Qaida puis de Daech, jusqu’aux actuels ravages de l’Ouest africain à l’Indonésie, le salafisme est un instrument de guerre n’empêchant pas Elisabeth Badinter de faire gérer l’image de l’Arabie saoudite par sa firme Publicis, tout en militant contre le Voile sur le front des impostures médiatiques, avec une même véhémence que celle mise pour entretenir l’axe Washington-Jérusalem-Riyad…

Quoi d’étonnant s’il n’est question que d’apparences dans un tel jeu de dupes ? Et quelle est cette baudruche dans laquelle s’époumonent à souffler leur succédané d’inspiration tous ceux qui, de Badinter à Le Pen et de Zemmour à Onfray, prétendent regonfler « la civilisation judéo-chrétienne » ? Un désir de paix fédère la majorité des populations : celles qui furent toujours mobilisables pour les monuments aux morts et les tombeaux du soldat inconnu. Raison pour laquelle marché de la guerre et guerre du marché – cœur vaillant du capitalisme – requièrent en temps de crise (quand un souffle au cœur handicape la machine) que les véritables antagonismes soient masqués d’habiles diversions ethnico-religieuses, identitaires et communautaires, sécuritaires et sanitaires. Il n’est jusqu’à la question sexuelle qui ne soit brandie en étendard pour empêcher que n’aient droit de cité des réflexions échappant aux réflexes conditionnés…

Remarquons que les propagandes effrénées sur la question dite LGBTQ s’orientent elles aussi dans la direction NE UTER. Car, à l’inverse d’une dialectique opérant la synthèse dynamique entre termes contradictoires, leur apparente neutralisation ne feint de mettre un terme au conflit qu’en imposant le point de vue dominant. Lequel s’arroge le privilège de n’être pas neutre, usant de cette arme secrète que sont ses services de l’ombre. On aura donc vu l’estocade portée à Ihsane Haouach par « un faisceau de suspicions », « des liens éventuels avec les Frères musulmans » : toutes allégations ridicules, dès lors qu’elle n’aurait jamais été nommée à ce poste si ces rumeurs avaient eu un quelconque fondement. Les barbouzes ont ainsi le dernier mot d’une logomachie suivant ce schéma bien établi : 1) Préjugé culturel et ethnique. 2) Défiance de principe. 3) Pressions idéologiques. 4) Harcèlement discriminatoire. 5) Agression verbale. 6) Criminalisation puis élimination du corps étranger réputé nuisible par intervention de polices occultes, selon des modalités sécuri-sanitaires…

En sorte que plus une femme d’origine maghrébine s’aventurant dans le nid de vipères politicien s’avérera courageuse et honnête, plus elle sera vue porteuse d’un mal susceptible d’empoisonner notre société saine par nature, plus une marque symbolique stigmatisant sa race venimeuse la vouera à vindicte publique.

Anatole Atlas, le 11 juillet 2021.

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