Sphérisme > Lanterne au seuil du Théorème 1

 Dante

La conscience obscurcie
ou par sa faute ou par celle d'autrui
trouvera ta parole brutale.
Néanmoins, écartant tout mensonge,
porte au jour ta vision tout entière,
et laisse gratter où est la gale.
Car ta voix, qui sera déplaisante
au premier goût, laissera ensuite,
une fois digérée, nourriture de vie.
Et ton cri fera comme le vent
qui heurte plus fort les plus hautes cimes ;
et cela n'est pas petit sujet d'honneur.


Dante Alighieri, La Divine comédie, Paradis Chant XVII


Lanterne au seuil du Théorème 1

Ce fut un tremblement de ciel.
Sous lui s'ouvrit la mer et il tomba par terre, à genoux, comme un croyant qui se prépare à la prière.
Suis-je en Orient ?  Suis-je en Occident ?  se demanda-t-il, scrutant les célestes signes de la guerre.
Quel âge ?  L'âge de quelques étoiles perdues dans le ciel, ces étoiles qui lui avaient toujours porté secours quand le désastre approchait. Mais il vieillissait sans se l'avouer. Ce combat l'épuisait depuis quarante ans. Pourquoi pas plus de voyageurs en éveil à voir clignoter les vraies lueurs dans le désert du labyrinthe ?

Il voyait la Bête apocalyptique, au manche à balai de son jet, larguer des bibles enflammées qui se répandaient en gerbes d'étoiles explosives illuminant le cosmos au nom de Yahvé. Son nerf optique lançait des éclairs vers un autre ciel. N'était-ce pas au nom du même Dieu des Armées que la Bête avait supplanté tous les ministères de Napoléon V pour accréditer à lui seul, auprès de l'Occident, les représentants légitimes d'une Libye vidée de ses habitants ?  Sans le savoir, la Bête inondait d'une énorme nappe d'essence le brasier de la conscience arabe. L'Occident, déversant ses bombes sous des prétextes tirés de fables pour enfants, n'avait-il pas la prétention d'y faire croire ceux-là mêmes qu'il tenait depuis plus de mille ans pour de mauvais croyants ?
Sur le plan juridique, ses experts avaient accompli un tour de force dans l'art du simulacre. La résolution 1973 de l'ONU présentait l'impeccable apparence d'un contrat légal, où la violation du droit international se trouvait maquillée d'une épaisse couche de fard moral.

Quelle place encore pour une parole qui interroge le mensonge ?
L'aède grec survivait de charités privées et publiques, ainsi que d'expédients moins encore avouables. (Comment s'était-il, par exemple, procuré les oeuvres de Milan Kundera dès leur parution dans la Pléiade ?  Il vous répondra par ses fréquentations dans la Constellation du même nom, qui lui furent utiles pour disposer d'une monnaie d'échange afin d'acheter au souk un bouquet de menthe pour le thé : les deux épais volumes feraient usage de poids dans la balance du marchand d'épices.) Il ne lui répugnait donc pas de s'être installé là, entre montagnes de saveurs multicolores et lampes magiques en peaux de chameaux, sur un tabouret, attendant l'éventuel client. A ses pieds, un simple écriteau :

 Katib oumoumi gharibi ätil

Katib oumoumi gharibi ätil : écrivain public occidental sans travail. N'était-ce pas l'exacte vérité ?  L'aède Atlas sentait en son corps brûler une métamorphose pareille à celle qu'il avait connue voici plus de vingt ans, lors de l'évanouissement de l'Union soviétique. De l'ultragauche à l'extrême-droite occidentale, il n'avait alors entendu s'exprimer publiquement qu'une seule opinion, très favorable à la chute d'un mur entre l'Est et l'Ouest, dont ne cesserait à ses yeux de s'aggraver le sort du globe, ainsi que la guerre entre l'Occident et l'Orient.
Troie, Carthage, Moscou : toujours la même guerre, toujours le même cheval de Troie depuis trois mille ans...
S'il avait pu lui arriver d'introduire dans ses textes l'une ou l'autre formule en l'alphabet cyrillique empruntée à Maïakovski, jamais encore les impératifs de la survie ne l'avaient contraint à garnir sa prose de signes arabes, au risque d'exacerber la méfiance de ses rares lecteurs. L'interférence d'éléments linguistiques occidentaux dans leur contexte culturel d'origine était une banalité pour tous au Sud de la Méditerranée ; au Nord, la réciproque n'était vraie pour personne, toute exception pouvant passer pour une scandaleuse et provocatrice incongruité. Ces arabesques d'écriture, à eux seuls, ne dénotaient-ils pas la perfide sinuosité mentale d'une civilisation qu'il convenait de tenir à distance dans son système de superstitions archaïques, sauf à les voir épouser nos valeurs?
Quand une crise le mettait en transe, Atlas pouvait perdre la boule. Même au milieu d'un souk. L'abominable ne venait-il pas de l'attirer vers son abîme ? Il était au comble de la détresse et voulut encore crier, avec l'humilité d'un aède en naufrage. Il se leva dans un vertige et retomba, essaya de se mettre debout, vacilla de nouveau. Vers quel pays sorti du monde avait-il appareillé ? Voici la première guerre de l'Histoire dont il s'agit de préciser les buts après qu'elle ait produit ses ravages, tant les objectifs réels en sont inavouables : une soumission sans condition des peuplades araberbéro-musulmanes à la tyrannie de Kapitotal.

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